Le dossier pédagogique peut être téléchargé
sur le site de la Ligue de l'enseignement
en cliquant ici



Éditorial

Parce que dévoiler des mémoires singulières peu connues participe au travail de mémoire collectif, travailler avec l’UEVACJ-EA à transmettre la mémoire de ’engagement volontaire des juifs étrangers dans le conflit de la Seconde Guerre mondiale fait complètement sens pour la Ligue de l’enseignement. La transmission, au coeur du processus éducatif, prend ici le sens de passage : passage d’une génération à une autre mais aussi passage de la communauté au commun.

Et pour partager cette histoire, l’approche artistique nous a semblé la plus pertinente. Elle proposait une voie entre l’objectivité distanciée de l’histoire et le possible pathos du témoignage : la voie du sensible. L’art pour émouvoir, pour toucher. Toucher certains lecteurs pour les extraire de leur propre mémoire et en toucher d’autres pour leur permettre d’entrer dans une mémoire qui n’est pas la leur. Ainsi le souci permanent du collectif Faux Amis a été de laisser des espaces, des interstices dans lesquels le lecteur-spectateur peut se glisser pour faire sienne cette histoire.

L’enjeu était de taille : faire découvrir cette histoire dans l’Histoire à la jeune génération. La place accordée à l’image et le choix d’une expression multisupport (livre, vidéo, blog) allaient dans ce sens. Mais c’est sans doute dans la rencontre, résolument intergénérationnelle, entre les jeunes du collectif artistique et les anciens de l’association mémorielle, que La Marche puise toute sa force.

Et c’est pour rendre visible cet aspect non visible de l’oeuvre, que nous avons fait le choix dans le dossier d’accompagnement pédagogique de donner la parole aux artistes. Par ailleurs, nous avons souhaité y faire dialoguer des points de vue divers pour montrer la multiplicité des approches possibles : historique, littéraire, plastique, citoyenne… Moins pensé comme une série d’activités pédagogiques autour de l’oeuvre, ce dossier vise à la fois à donner aux éducateurs des clés pour s’approprier cette histoire et cette oeuvre mais aussi des pistes d’analyse et d’ouverture pour inscrire La Marche dans son contexte culturel d’émergence.

Sommaire

Éditorial................................................................................... 2

Présentation générale........................................................... 3

PREMIÈRE PARTIE : La Marche, approche historique
et thématique.......................................................................... 6

Histoire, mémoire, fiction et création.................................. 6

La communauté juive dans la France de l’entre-deux-
guerres.................................................................................. 10

L’engagement des Juifs étrangers
dans la Seconde Guerre mondiale.................................... 13

DEUXIÈME PARTIE : Ressources...................................... 17

Fiche 1 : Comment traiter de la mémoire collective ?..... 18

Fiche 2 : Le collectif Faux Amis........................................... 21

Fiche 3 : Lexique................................................................... 23

Fiche 4 : Références............................................................. 27

Fiche 5 : Atelier d’éducation à l’image................................ 29

Fiche 6 : Making off de la vidéo
« Quelques lettres et des photos ».................................... 35

Fiche 7 : Éléments d’analyse............................................... 37
..
Fiche 8 : Pour aller plus loin................................................ 42

Présentation générale

À l’origine : une résidence artistique

La Ligue de l’enseignement et l’UEVACJ-EA

Mouvement complémentaire de l’École, la Ligue de l’enseignement se distingue notamment par ses positions engagées dans les domaines de la laïcité, du dialogue civil, et de la participation des habitants à l’évolution de la société sur tous les territoires. La Ligue de l’enseignement défend l’accès aux arts et à la culture comme condition de l’émancipation des individus dans un sentiment d’appartenance à un destin commun.

Les actions des fédérations départementales prennent au quotidien la forme d’ateliers de pratiques artistiques en amateur, de classes culturelles ou artistiques, de diffusion du spectacle vivant et du cinéma, de résidences d’artistes et d’écrivains, d’actions de formation, ou d’opérations nationales de sensibilisation.  www.laligue.org

L’UEVACJ-EA (Union des engagés volontaires et anciens combattants juifs, leurs enfants et amis) fut fondée en 1944 sous l’Occupation, par un groupe d’engagés volontaires juifs de 1939, membres de la résistance lyonnaise. Aujourd’hui les survivants sont peu nombreux et très âgés. L’association regroupe aujourd’hui
environ 450 membres dont les enfants et amis des anciens engagés volontaires. Elle a effectué un important travail de contribution à l’histoire du pays concernant la participation et l’engagement spécifiques de ses membres fondateurs et de leurs représentants actuels. De nombreux documents photographiques, rédactionnels, audiovisuels ont fait l’objet de publications, de mise en ligne et de versements à des services d’archives et de conservation. Pourtant cette page d’histoire demeure largement méconnue, voire occultée.    www.combattantvolontairejuif.org

Les deux associations se sont retrouvées autour d’un projet commun : mettre en place une résidence artistique de création débouchant sur la réalisation d’une oeuvre originale, alliant texte et image, accessible aux adolescents, et plus précisément d’un récit de fiction sur cette forme d’engagement peu connue.

Accueillis pendant quatre mois au sein de l’UEVACJ-EA, les artistes ont alterné temps de collecte et de création. La résidence a donné lieu à des déplacements sur des lieux de mémoire, et à des rencontres avec des classes.

Le collectif Faux Amis, un collectif de jeunes photographes

Lucie Pastureau, Lionel Pralus et Hortense Vinet sont trois jeunes photographes diplômés de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. À la sortie de l’école en 2008, ils décident de créer un collectif qu’ils nomment « Faux Amis ». Dans leurs créations respectives des thématiques les rapprochent : la cellule familiale
et les problématiques qui en découlent, la personne dans le développement de son identité et son rapport au territoire. Travaillant principalement autour de l’image photographique liée au texte, leur pratique s’étend aussi au son, à la vidéo, à la sculpture ou à l’installation.

En 2009, ils participent à leur première résidence artistique avec l’association Amalgame de Villers-sur-Port (Haute-Saône).

Dès 2010, ils démarrent leur travail avec la Maison du Geste et de l’Image à Paris menant des ateliers artistiques pour enfants et adolescents.

Dans le cadre de cette résidence, le collectif a fait une proposition artistique originale :

• Reposant sur un travail d’immersion et d’investigation

Le point de départ de leur projet fut la rencontre avec cette histoire et les membres de l’UEVACJ-EA. Pour réunir le plus d’informations possibles, ils ont multiplié les approches : l’enregistrement sonore, la vidéo, la photographie, la prise de notes. Le travail d’investigation est passé par la consultation de documents d’archives. Cela a représenté une part très importante de leur travail. Pour ce faire, ils ont sillonné des établissements culturels variés, touchant de près ou de loin à l’histoire de ces engagés volontaires.

• Proposant une approche multimédia parallèle à la création du livre

Le blog (http://engagesvolontaires.blogspot.fr/) : sorte de journal de travail, il permet au collectif de retracer son parcours, jalonné de rencontres, ses réactions, le cheminement de sa réflexion. Il a une dimension pédagogique, non seulement parce qu’il peut être support de documents sonores, visuels, écrits, qui ont
alimenté la forme finale de l’oeuvre, mais aussi dans le fait de montrer l’oeuvre en train de se faire.

Les Petites OEuvres Multimédias (POMs) : reprenant le mode de narration du livre, elles permettent l’inclusion d’une bande-son (témoignages, ambiance sonore, musique). De plus, leur format court, attractif, est une autre manière de toucher le public. Accessibles pour les lecteurs du livre, elles peuvent aussi être projetées
lors de manifestations (interventions scolaires, festivals photographiques, conférences) qui ne se prêtent pas toujours à la présentation d’un livre. Les POMs peuvent aussi être diffusées via Internet.

Regard sur l’ouvrage

La Marche est un récit, entre visible et lisible, nous présentant les trajectoires, les itinéraires de deux êtres, un homme et une femme, Henri et Hélène, dont nous voyons dérouler le récit au travers de correspondances et de photographies, en noir et blanc et en couleur.

La Marche est aussi une oeuvre de commande traitant de l’engagement politique et moral durant la Seconde Guerre mondiale.

Mais comment traiter de l’engagement ? En donnant chair à cette notion abstraite, car ce sont des personnes physiques qui s’engagent. Inventer des personnages fictifs avec comme source d’inspiration des personnes réelles, tels Emile Jaraud, Serge Bac, Joseph Bursztyn, et tant d’autres.

Incarner cette réalité historique par le biais d’un récit fictionnel, avec une justesse de ton et de distance, autant historique qu’éthique.

L’ouverture et la clôture du récit se situent à Paris, en 2003. Un homme de dos, en contre-jour, tenant une lettre. Écho à l’une des dernières photographies, portant la légende, « Paris, 1945 », où l’on voit un homme de dos, en contre-jour, devant une fenêtre, peut-être la même que la première. Deux hommes, donc. Un fils, un père, peut-être. Une plongée dans un passé familial.

Entre ces deux images, le déroulé est chronologique, bien que le jeu entre passé et présent instauré par la cohabitation d’images d’archives et d’images contemporaines rende ambivalente la temporalité.

Un scénario très précis a été écrit par le collectif Faux Amis pour s’approprier cette période et s’assurer d’une cohérence historique. Mais la narration est elliptique, joue avec les silences et les ombres.

Le récit chemine, flottant. Le drame est présent mais se mesure à l’aune du quotidien. L’histoire ne se laisse pas appréhender d’emblée, mais se compose, et doit être recomposée par le lecteur-regardeur par petites touches.

Les images elles-mêmes jouent avec le non-dit, par les contre-jour, les pénombres, les ombres chinoises, les couleurs désaturées, la brume, la fumée…

Une saveur se distille, prégnante, par le timbre des photographies. Une aura grise et bleue, humide, une lumière de fin de journée en hiver, le rosé des peaux, le vert délavé des vestes militaires et des terrains vagues.

Un dossier d’accompagnement

Ce dossier s’adresse aux éducateurs qui souhaitent faire découvrir cette oeuvre à des jeunes. Il vise à faire comprendre une démarche artistique, une oeuvre complexe et la thématique traitée. Il ne s’agit pas d’une proposition d’activités pédagogiques à mettre en oeuvre mais bien de pistes pour un projet culturel global, permettant à l’éducateur d’identifier des personnes et des structures ressources et de développer sa propre
connaissance sur le sujet. Sa spécificité est d’articuler l’approche historique et l’approche artistique. Il se construit autour de deux axes :

• Histoire et mémoire : donner des repères historiques précis sur cette période et l’inscrire dans la thématique plus large des migrations ; évoquer un phénomène en marge de la grande histoire au sens fort, bien que peu connu ; soulever des questionnements sur l’articulation entre mémoires individuelles et histoire collective ; mettre en perspective cette histoire avec l’actualité…

• Création artistique contemporaine et mémoire : donner des éléments d’éducation à l’image (techniques utilisées, effets produits, statut des images) ; proposer une explicitation de cette démarche artistique donnant une portée symbolique et collective à des histoires singulières…

Dévoiler cette partie méconnue de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale vise à élargir la réflexion en :
• Dépassant l’approche émotionnelle de l’histoire juive par un regard distancié des artistes et en déconstruisant l’idée d’une communauté juive homogène et passive pendant la Seconde Guerre mondiale ;
• Explorant l’histoire de l’immigration et en interrogeant les conditions d’émergence de la xénophobie et de l’antisémitisme dans un contexte de crise économique et sociale ;

• Transmettant cette histoire d’engagement sans recherche d’exemplarité sans sacralisation des individus mais en sondant ces parcours individuels pour souligner le sens de ces actes politiques ;

• Inscrivant ce projet dans le débat contemporain sur l’articulation entre mémoires singulières et histoire collective.

Le dossier est construit en deux parties :

• L’analyse historique et thématique constituée d’apports d’historiens sur cette page de l’Histoire et éclairée des intentions artistiques des artistes.

• Les outils, comme autant de focus artistiques ou historiques possibles à partir de l’oeuvre, présentés sous la forme de huit fiches toutes autonomes.

Première partie :
la Marche, approche historique et thémAtique

Histoire, mémoire, fiction et création 1

Histoire et mémoire

Écrire l’histoire de l’engagement étranger en France durant la Seconde Guerre mondiale est un projet ambitieux qui soulève d’emblée des questionnements historiographiques essentiels et il est, sans conteste, une manifestation de la mémoire ; c’est-à-dire, pour reprendre la définition de Pierre Nora, une création « portée
par des groupes vivants et à ce titre, […] en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et manipulations, susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations. […] Parce qu’elle est affective et
magique, la mémoire ne s’accommode que des détails qui la confortent ; elle se nourrit de souvenirs flous, télescopant, globaux et flottants, particuliers ou symboliques, sensible à tous les transferts, écrans, censure ou projection ». En somme, la mémoire est une manifestation émotionnelle et subjective du passé, là où l’histoire opère une reconstruction intellectuelle scientifique fondée sur des sources et une méthodologie.

Il serait néanmoins erroné de voir dans cette définition croisée une forme de classification entre histoire et mémoire, voire un mépris de l’historien sur les manifestations mémorielles. Depuis les travaux de Maurice Halbwachs et de Paul Ricoeur, les sociologues et les historiens ne cessent de constater en effet à quel
point ces deux notions se nourrissent et s’enrichissent mutuellement. Non seulement l’histoire permet d’apporter des réponses aux questionnements mémoriels, mais les mémoires jouent aussi souvent un rôle d’interpellation envers la science historique. Ainsi est-il légitime de se demander si Raul Hilberg serait devenu l’historien spécialiste de la destruction des Juifs d’Europe que l’on connaît s’il n’avait pas été contraint de
vivre avec la mémoire douloureuse de son exil forcé face à la montée du nazisme. De même, à une autre échelle, l’histoire de la déportation pour motif d’homosexualité aurait probablement sombré dans l’oubli si des militants aux motifs mémoriels ne s’étaient pas mobilisés pendant des décennies afin de faire connaître en France cet aspect longtemps méconnu de la Seconde Guerre mondiale.

C’est dans cette perspective que La Marche permet de retracer l’histoire de ces engagés volontaires et anciens combattants juifs. Leur mise en scène contemporaine par le collectif Faux Amis invite aussi assez naturellement à engager une réflexion sur le devenir de ces mémoires longtemps oubliées et qui ressurgissent par d’autres biais que les traditionnels livres d’histoire.

Histoire, mémoire et création artistique

Si la mémoire renvoie à notre rapport au passé, elle pose aussi la question du rapport au réel. Ne peut-on dire que dans le processus de reconstruction du passé, propre à la mémoire, vient se nicher une part de fiction ? Cela apparaît clairement dans le travail du collectif Faux Amis.

Cela se double de la fiction inventée par les Faux Amis qui structure La Marche. Bien qu’il s’agisse d’une oeuvre de fiction, la place de l’histoire et de la mémoire dans La Marche ne sont pas anecdotiques. L’histoire n’y est ni un décor pour l’action, ni un prétexte à la fiction. Au contraire, dans La Marche c’est la fiction qui sert l’histoire et la mémoire : c’est par la fiction qu’on explore cette page d’histoire. Preuve en est le choix fait par les Faux Amis d’inventer une histoire d’amour qui permette de découvrir une face moins connue de l’engagement volontaire : le parcours de femmes dans cette période troublée. On suit ainsi la vie d’une jeune femme restée en France pendant la guerre et qui s’engage en attendant le retour de celui qu’elle aime.

Pour traiter de ce thème, les Faux Amis ont travaillé dans un souci permanent de :

• Respecter les faits historiques : sans être dans une démarche de reconstitution historique et d’établissement de la vérité, ils ont veillé à donner du crédit à leur histoire en l’inscrivant dans des réalités vérifiées
1. Voir également l’entretien avec Pierre Nora page 18.
et tangibles. Prenant toute la mesure de leur responsabilité dans cette démarche de transmission, ils ont porté toute leur attention sur l’authenticité des éléments de contexte tout en gardant leur liberté d’inventer le parcours des personnages.

• Respecter la mémoire des témoins : tout en mesurant l’effet de déformation que la mémoire opère sur les souvenirs, tout en constatant les incohérences des récits remémorés, tout en prenant la mesure de l’idéalisation des actes de ces « héros », les Faux Amis n’ont eu de cesse de rester fidèle aux témoignages qui leur avaient été livrés. Dans une posture d’écoute et d’empathie, ils ont cheminé avec les personnes
pour reconstituer ces souvenirs. Mais encore une fois, leur travail artistique a digéré ces témoignages pour en extraire des idéotypes, des réminiscences qui nourrissent leur fiction.


Cette double exigence s’est traduite par un travail de documentation préalable à la création, de deux ordres :
• Une recherche historique : elle est passée par de nombreuses lectures d’ouvrages spécialisés ainsi que par des échanges réguliers tout au long du travail de création avec des historiens référents sur cette période (voir la fiche références, page 27).
• Une exploration mémorielle : durant la période d’immersion au sein de l’UEVACJ-EA, le collectif a multiplié les manières de recueillir cette mémoire. Ils ont écouté, mené des entretiens, visionné des témoignages, lu des documents. Cela leur a permis à la fois de recouper les informations mais aussi de saisir les implicites, les non-dits, les secrets de l’histoire officielle.


Le principal matériau avec lequel ont travaillé les Faux Amis est l’image d’archives. Ces images ont eu une double fonction dans leur travail : documentaire et esthétique. Laurent Veray, dans son ouvrage Les images d’archives face à l’histoire, explore cette question de la réutilisation des images d’archives dans la création contemporaine (en évoquant principalement la création cinématographique). Il rappelle que « les images
d’archives jouent un rôle dans la construction de l’événement historique, sa transmission, sa mémoire. On pourrait même dire qu’elles constituent l’un des vecteurs culturels privilégiés de cette construction. Elles forment en effet un matériau propre à éveiller l’émotion et la réflexion, avec lequel il est possible de dialoguer
aujourd’hui. Et c’est dans le foisonnement des représentations que ce matériau propose que peut s’élaborer une histoire du XXe siècle. Car même si les images, qu’elle qu’en soit la date, ne présentent pas toutes un intérêt historique majeur, elles constituent un gisement immense, un réservoir iconographique qui façonne,
sur bien des points notre relation au passé ».

Dans la profusion de ces images d’archives auxquelles les Faux Amis ont eu accès, ils ont choisi d’utiliser essentiellement des photographies. Reste que ces photographies elles-mêmes ont des statuts différents :
• Images officielles ou publiques : il s’agit des images de guerre et de soldats mais aussi des images de foules anonymes (appel à la mobilisation, Libération de Paris). Ces photographies appartiennent à des fonds d’établissements culturels et à des institutions telles que l’ECPAD (Établissement de communication et production audiovisuelle de la Défense), le Musée national de la Résistance, le Mémorial de la Shoah, le Cercil (Centre d’étude et de recherches sur les camps d’internement dans le Loiret)… Elles appartiennent à un patrimoine commun et ont nourri nos représentations collectives tant elles ont été diffusées, utilisées dans des documentaires historiques, lors de commémorations, dans l’enseignement de l’Histoire.
• Images de famille : il s’agit de photographies proposées par des témoins directement ou bien appartenant à des fonds d’archives de particuliers cédés pour l’essentiel au Centre de documentation juif du Mémorial de la Shoah. Selon Laurent Veray, dont les recherches universitaires portent sur l’utilisation des archives dans le cinéma de création, « elles font partie de la masse des documents privés qui peuvent nous apporter des renseignements sur l’histoire ordinaire des gens. Le statut de ces images destinées à un usage strictement privé est évidemment différent de celles prises par des professionnels. Il n’en demeure pas moins qu’elles constituent une documentation intéressante sur certains aspects de la vie sociale. Elles incarnent
les anonymes de l’histoire : leur donnent un corps, un visage, une vie. Leurs fréquents défauts techniques sont des traits spécifiques dont on peut jouer au niveau esthétique ».

Ce travail sur les images de famille est au coeur des créations artistiques du collectif Faux Amis. Elles sont le signe de leur goût du singulier, de l’intime, du privé. Pour autant beaucoup de leurs oeuvres (« Retours », « Les coucous ») évoquaient un territoire, une communauté, en un sens une histoire locale.
Cette approche artistique fait écho à d’autres pratiques contemporaines dans le domaine de l’histoire et de la culture :

• La micro-histoire : elle est un courant de recherche historiographique qui propose aux historiens de délaisser l’étude des masses ou des classes pour s’intéresser aux individus. En suivant le fil du destin particulier d’un individu, on éclaire les caractéristiques du monde qui l’entoure. Elle entre habituellement en collaboration
étroite avec les sciences sociales naturalisées, telles que l’économie, la sociologie et la psychologie cognitive construites sur l’individualisme méthodologique. La micro-histoire a permis de modifier en profondeur la manière de faire de l’histoire en offrant une alternative aux approches macrohistoriques, structuralistes et fonctionnalistes.
Elle propose aux historiens de réduire l’échelle d’observation, de faire l’histoire « au ras du sol ».
On comprend alors volontiers que ce courant historique ait permis de réhabiliter l’individu ou le groupe restreint (familles, communautés villageoises, quartiers…) en tant qu’acteur, de soutenir que les hommes ne sont pas seulement soumis à des pouvoirs supérieurs, qu’ils ne sont pas des êtres seulement déterminés par des structures biologiques, économiques, sociales et culturelles.
• La patrimonialisation des mémoires singulières : la Cité nationale de l’Histoire de l’immigration propose une démarche générale autour des mémoires particulières, notamment dans sa programmation d’expositions temporaires : « Vies d’exil, des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie » ; « Polonia, des Polonais
en France depuis 1830 » ; « Générations, un siècle d’histoire culturelle des maghrébins en France »…).
L’établissement culturel va encore plus loin dans cette prise en compte des mémoires en travaillant en étroite collaboration avec les associations de migrants et de mémoire et en proposant un espace d’exposition temporaire inhabituel : « La galerie des dons ». Contiguë à l’exposition permanente « Repères », elle présente des archives et objets liés à des parcours de vie. Chaque visiteur peut contribuer à cette collection
en faisant un don ou un prêt. Chaque dépôt est accompagné d’un témoignage. Ces moments de vie sont exposés dans des vitrines dont l’accrochage est subjectif, conçu comme un récit autobiographique en collaboration avec le prêteur ou donateur. La galerie des dons fait entrer au musée des histoires, photos ou objets souvent transmis de génération en génération, elle marque le passage de la sphère intime, familiale
à l’espace public.

La parole aux Faux Amis

Nous connaissions bien sûr les grandes lignes de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, mais pour s’imprégner d’une histoire en particulier et se la réapproprier, nous avons dû passer par une phase de recherches approfondies, bien avant la création en elle-même.
Avant de commencer la résidence, nous avons lu énormément : des analyses historiques sur le contexte social, économique, politique de l’époque (depuis les années 20 jusqu’à la fin de la guerre), des ouvrages très précis sur les mouvements militaires pendant la guerre et surtout des mémoires, des correspondances, des récits de témoins ; résistants hommes et femmes ; communistes ; juifs ; déportés ; prisonniers ; Français, Espagnols, Polonais, Belges… (Helen Berr, Jorge Semprun, etc.).

Rencontrer les membres de l’UEVACJ-EA, qui nous ont parlé de leurs parents, leurs familles, leurs enfances, visionner les témoignages filmés de ces parents, nous a permis de compléter notre approche, de rendre cette histoire vivante et sensible.

En tant qu’artistes notre démarche était très différente de celle d’un historien. Il ne s’agissait pas pour nous de rapporter des faits ou de les interpréter, mais de faire connaître cette histoire de façon sensible, c’est-à-dire amener le lecteur/spectateur à s’identifier aux personnages, à repenser cette histoire dans le présent.

Ainsi, concernant l’histoire du livre ou les vidéos Les Passeurs, nous avons recréé les parcours des personnages à partir de différents témoignages lus ou entendus. Les personnages sont inventés, mais pas les situations ni les événements. Il s’agit donc de fiction, mais d’une fiction vraisemblable, qui permet de balayer une grande partie de cette histoire. Ainsi différents aspects de la période (émigration, engagement, résistance, déportation, enfants cachés, etc.) sont traités, gardant l’empreinte sensible d’une histoire individuelle.

De même, notre regard sur les images d’archives a d’abord été celui de photographes. Nous ne nous sommes pas tant attachés au contexte réel de l’image, qu’à ce qu’elle nous évoquait : le visuel primait sur la légende. Il s’agissait de récupérer le potentiel sensible de ces images qui est souvent occulté par leur caractère informatif. Il nous est arrivé de recadrer des images, nous attardant sur des détails précis, mais les images entières et leur légende apparaissent à la fin du livre ; nous ne voulions pas occulter ces informations qui permettent une deuxième lecture.

Le temps de recherche a été très long : trouver des images qui nous marquent visuellement, obtenir les autorisations nécessaires à la publication… De plus, il fallait entretenir un dialogue entre ces images et nos productions (images & textes), sans que les unes soient les illustrations des autres et vice versa. Il nous est arrivé de faire une image en réaction à une image d’archives aussi bien que de chercher une archive précise pour un passage du livre.

Nous avons voulu faire en sorte que le lecteur n’identifie pas tout de suite l’image d’archives comme telle, qu’il lui laisse une chance d’exister dans l’histoire, avant d’être dans l’Histoire. Peu à peu, nous avons tenté de les réanimer et de leur redonner vie. Faire comprendre que l’image d’un jeune engagé est avant tout l’image d’un jeune homme, avec ses peurs, ses espoirs.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le travail de fiction a permis de rendre tout leur sens à certaines images. En effet, l’image photographique ne contient pas de vérité et se révèle bien souvent trompeuse. C’est le cas de beaucoup des archives du fonds de l’UEVACJ-EA qui proviennent de mises en scène supervisées par le commandement français, puis par les Allemands. À ne regarder que ces images, la guerre semble une période de camaraderie où des groupes d’hommes joyeux et en bonne santé posent, souriants, devant l’objectif. Bien loin de la réalité, donc.

La communauté juive dans la France de l’entre-deux-guerres 1

Migration et vie culturelle

En 1939, la communauté juive de France compte de 200 à 300 000 personnes, selon les estimations. Cette communauté, principalement concentrée à Paris et en région parisienne, regroupe grosso modo pour moitié
des Juifs français, que l’on qualifie alors d’« Israélites », d’implantation très ancienne ou arrivés d’Alsace-Moselle après 1871 ; et pour l’autre moitié des Juifs étrangers (Juifs « orientaux »), arrivés par vagues depuis les années 1880, et surtout à partir des années 1920. Ces Juifs étrangers sont principalement issus de Pologne, de Russie/URSS et de Roumanie, d’Allemagne après 1933, d’Autriche et de Tchécoslovaquie après 1938-39.

Les Juifs étrangers éprouvent des difficultés à trouver une place dans la société française : leur émigration est rendue nécessaire par les conditions politiques et sociales locales, et la société française, censée les accueillir, n’est pas très ouverte, dans le contexte difficile des années 1920 et 1930.

Ces Juifs apportent avec eux leur bagage culturel. Or celui-ci est très différent de ce qu’ils trouvent sur place, qu’il s’agisse de la société française en général, ou de leurs coreligionnaires qui les voient arriver avec réticence.
Pour ces raisons, et de façon assez paradoxale en vertu des raisons d’émigration, on assiste à une sorte de recréation du monde d’origine pour faire face à l’étrangeté, voire à l’hostilité du monde d’accueil : des journaux en yiddish sont créés (l’un des plus célèbres est le Parizer Haynt : La journée parisienne), permettant de maintenir un lien social entre des locuteurs d’une langue inusitée en France, tandis que
des sociétés de secours mutuel (Landsmanschaften : associations d’originaires) reconnues par l’État sont fondées, permettant le regroupement des Juifs issus de mêmes villages, villes ou régions (170 en 1939, dont 120 à Paris).

Ces juifs de la deuxième immigration sont plus politisés. Ils appartiennent à une génération qui entre dans la modernité avec l’émergence de mouvements de masse en rupture avec la tradition religieuse tels que le marxisme, le communisme, le bundisme, le sionisme.

Ils s’investissent dans le militantisme avec autant de fougue que leurs pères dans le hassidisme. Ils sont majoritairement non religieux avec des idées de gauche.

Ces nouveaux immigrants ont une volonté d’intégration très forte dans la vie collective française, tant économique que culturelle. Ils ont cependant une revendication particulière, conserver la culture yiddish avec sa langue. Très vite se créent des sections yiddish dans les partis politiques, et les syndicats ouvriers.
(Section juive du parti communiste français, le Bund au parti socialiste – SFIO) et des sections juives par profession (tailleurs-tricoteurs-cordonniers, etc.) dans les syndicats CGTU et CGT.
Une presse yiddish se développe, on retient trois titres de quotidiens : Naïe Presse (Presse Nouvelle) de tendance communiste, Unzer Shtime (Notre Voix) de tendance socialiste-bundiste, Unzer Wort (Notre Parole) de tendance sioniste. Ainsi que de nombreux périodiques politiques et culturels qui témoignent de la richesse de cette petite communauté appelée « Le Yiddishland français ».

La Kulture Lige, association politico-culturelle d’obédience communiste, développe des activités multiples : le théâtre yiddish, la chorale populaire juive (der Yiddisher arbeiter chor), une association des peintres juifs. Parallèlement dans le cadre de la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail) un club sportif yiddish est créé,
le YASC (Yiddisher Arbeiter Sport Club).

Le Bund et les sionistes mettent en place aussi de nombreuses activités : colonies de vacances pour les enfants (les Faucons rouges), organisation des jeunesses socialistes, clubs sportifs (à l’exemple du « Maccabi »)…

Diptyque extrait de La Marche.

1. D’après l’article de Jean Laloum (voir fiche 4).

Par ailleurs, les sociétés d’originaires aident à trouver pied en France, apportent des secours pour la vie courante, et assurent traditionnellement une inhumation conforme aux coutumes du pays d’origine, dans le cadre de caveaux acquis à titre collectif. Développant du lien social, ces sociétés encouragent également l’apprentissage de la langue française par leurs adhérents, sans toutefois que ceux-ci abandonnent
leur culture d’origine. Cet apprentissage du français donne lieu à un langage émaillé de termes yiddish, et s’effectue le plus souvent sur le tas : qu’il s’agisse des ateliers d’artisans dans lesquels sont actifs nombre de ces Juifs étrangers, de la fréquentation de l’administration obligatoire pour répondre aux exigences du pays d’accueil, ou par le biais des enfants suivant l’enseignement de l’école républicaine.

Une communauté divisée

Les Juifs étrangers sont mal perçus par les Juifs français. Ces derniers prennent acte de ce qu’ils fréquentent des lieux de vie et de culte distincts, mais ils ne peuvent s’accommoder de cette situation. Ils refusent leur particularisme et leur aspect trop visible qui leur rappelle trop ce qu’ils ont pu être avant leur propre assimilation. Ce qui les pousse à vouloir forcer leur intégration : ils doivent abandonner leurs langues
d’origine, en particulier le yiddish et ses caractères hébraïques si visibles affichés sur les enseignes de leurs boutiques et ateliers. Comme l’indique dès 1925 le très français Univers israélite, principal organe des Juifs français : « Lorsqu’on veut vivre définitivement sous le ciel paisible et harmonieux de France, parmi ses populations sensées, mais susceptibles, le moins que l’on doive, c’est de renoncer à une langue qui, après tout, n’est que du mauvais allemand. »

Pour les Israélites, les Juifs immigrés de l’entre-deux-guerres doivent suivre le modèle de leurs prédécesseurs arrivés en France avant 1914 : s’intégrer et adopter le mode de vie français. L’enjeu est d’autant plus important que les Juifs français redoutent que l’arrivée massive de Juifs étrangers visibles n’alimente la xénophobie (« leur hébreu qui sent le boche à plein nez », l’Univers israélite, 1926), eux dont le nationalisme
risque de se confronter à celui des Français. À leurs yeux cette immigration peut, par ailleurs, nourrir l’antisémitisme des Français. Et pour beaucoup elle est enfin synonyme d’infiltration communiste.

Quant aux Juifs orientaux, en une sorte de retour d’ascenseur, ils critiquent les Israélites qui sont de leur
point de vue des Juifs dénaturés, eux-mêmes incarnant un véritable judaïsme des origines.

La crise de 1929 a des effets considérables sur les populations de petits artisans ou camelots déjà faibles socialement. Elle entraîne une montée des tensions. La situation devient encore plus tendue avec l’arrivée des réfugiés fuyant l’Allemagne nazie, après janvier 1933. De la part de la société française le sentiment général est de moins en moins à la compassion, avec une nette montée de l’antisémitisme dirigé contre
tous les Juifs, assimilés ou non ; ce qui à son tour suscite la virulence des Juifs français contre des Juifs étrangers qui s’obstinent dans le maintien de leur culture. Le yiddish plus que jamais est interprété comme de l’allemand, ce qui est un facteur de risque dans une France germanophobe. Cet idiome, très souvent pratiqué dans les manifestations juives françaises au grand dam des Israélites qui ne le comprennent pas, est décidément rejeté (« Apprenez la langue, et ne vous singularisez pas », L’Univers israélite, 1935). L’apprentissage du français est mis en avant, pour simplifier la naturalisation, éviter le réveil de l’antisémitisme, ou, en tout cas, atténuer le ressentiment anti-juif.

L’acculturation se fait au final. Les adultes se retrouvent souvent dans une activité syndicale qui favorise leur intégration dans le contexte politico-social agité de la deuxième moitié des années 1930. Mais le biais des enfants est certainement le plus important : scolarisés, ils apprennent la langue de Molière et sont moulés dans un modèle français qu’ils transmettent à leurs parents ; pour ceux qui pratiquent le judaïsme, les rites juifs français remplacent progressivement les traditions orientales ; et le scoutisme complète le tableau.

Sous le coup des circonstances et de l’adversité omniprésente, les tensions inter-juives se trouvent atténuées à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Le début du conflit, en septembre 1939, suscite le volontarisme des Juifs étrangers en faveur de leur patrie d’adoption : les engagements spontanés dans l’armée française sont nombreux, un creuset dans lequel il s’agit de ne pas trop paraître étranger, comme
leur recommandent enfin les Israélites.

Les souffrances du temps de guerre renforcent l’intégration des Juifs étrangers dans la société française : la communauté est particulièrement mise à mal par les persécutions nazies et vichystes. L’activité résistante, quant à elle, est un véritable catalyseur, dans le cadre d’une France à reconstruire.

La parole aux Faux Amis

Le titre du livre, La Marche, est une référence à tous les moments d’errance du héros et de la plupart des personnages, et tout d’abord cette marche initiale de l’émigration. Un parcours qui pouvait durer des mois, voire des années. Ensuite, viennent les courses entre les ateliers de confection, les grandes marches dans l’armée, la fuite, se cacher, puis le retour.

Mais La Marche, c’est aussi le pas à franchir, le seuil à quitter pour enfin s’engager. C’est aussi la marche du temps, celle de l’Histoire comme celle de la mémoire.

Pour trouver des images d’archives autour de la vie de la population juive de Pologne avant la guerre, nous avons dû chercher dans les fonds du mémorial de la Shoah et de la mémoire juive de Paris. Cependant, à cause du coût que représentait la photographie à l’époque, il existe peu de documents sur cette communauté : quelques portraits de famille, quelques photos de commerce, des fêtes ou des commémorations, des manifestations pour la partie politisée. Les images avant l’émigration sont encore plus rares à cause de la destruction des biens des Juifs et de la pauvreté plus grande encore. D’autre part, nous n’avons bien sûr pas trouvé de photographies de clandestins en plein périple pour gagner la France.
Ici, le travail de fiction est donc venu combler un manque. Par le texte, nous avons repris la description de trajets lus (le parcours, les frontières, l’arrivée gare du Nord). Pour les images, nous avons choisi de procéder par évocation : un homme le regard tourné vers le dehors tient une photo de femme à la main, est-ce sa mère qu’il quitte ? Elle semble en tout cas symboliser un passé qu’il laisse derrière lui. Une autre photo d’un homme qui traverse une rivière, frontière naturelle, frontière parfois risquée. Après une carte géographique, la photo d’un arbre déraciné, arraché à sa terre. Et puis les ombres à contre-jour, et la lumière au bout du tunnel, l’arrivée enfin.

Dans le carnet d’Henri ou les lettres d’Hélène, la description d’un quotidien fait de dur travail et d’engagement politique, de famille et d’entraide. C’est ce qui est ressorti de nos lectures (par exemple Les Juifs de Belleville de Benjamin Schlevin).

La Marche recèle de divers détails qui renvoient à cette vie culturelle et communautaire des Juifs de Paris.

On découvre le héros, Henri, jeune émigré polonais, s’installant en France (deuxième carnet + photo café yiddish).

On comprend que les parents de l’héroïne Hélène ne le voient pas d’un bon oeil car il est étranger (mot sur la double page avec la chemise).

Les conditions de vie très pauvres décrites dans la lettre d’Hélène à sa soeur Léonore témoignent du décalage social entre les deux protagonistes juifs.

Dans la vidéo « Quelques lettres et des photos », la famille Jarowsky quitte la Pologne et s’installe en France. Le père occupe, alors, le seul emploi qu’il peut avoir sans avoir de papiers.

L’engagement des Juifs étrangers dans la Seconde Guerre Mondiale 1

Il est essentiel de replacer l’engagement des Juifs étrangers en France pendant le second conflit mondial dans son contexte. Dans le(s) parcours de ces hommes, l’engagement dans l’armée, en 1939-40, est situé à un moment clé : la charnière entre un combat politique antérieur (qui peut pour certains se concrétiser par leur participation à la guerre d’Espagne dans les Brigades internationales) et l’engagement dans la Résistance, qu’il préfigure pour certains d’entre eux. Il convient également de situer l’engagement des Juifs étrangers par rapport à celui des autres étrangers.

L’engagement en 1939-1940

Phénomène complexe de masse, l’engagement étranger en France en 1939-40 répond à des formes de contraintes sociales spécifiques qui remettent en cause, pour certains étrangers, la définition même du volontariat. Ainsi, les bénéficiaires du droit d’asile n’ont pas le choix, ils sont obligés de fournir des prestations à leur pays d’accueil. Cette mesure concerna surtout les Allemands et Sarrois réfugiés en France au début et au milieu des années 30, et quelques ressortissants d’Europe centrale et orientale. Il y avait parmi eux de nombreux Juifs, surtout allemands. Cette mesure toucha davantage les républicains espagnols exilés suite à la guerre civile (1936-1939), internés dans les camps du sud-ouest de la France. Ceux-ci ont eu comme choix draconien la Légion, les
régiments de marche de volontaires étrangers, les compagnies de prestataires militaires ou le renvoi chez Franco. Pour ces hommes, le simple fait de se rendre dans un bureau de recrutement ne signifie donc pas forcément qu’ils s’y rendent d’eux-
mêmes. Or, ne serait-ce pas là le fondement, l’essence même de ce qui fait un volontaire, celui qui assume son choix d’engagement et qui n’y est pas contraint ? Pour certains, cette démarche n’était pas pleinement assumée, car ils n’avaient
pas tellement le choix. L’attitude des autorités françaises envers certains étrangers conduit donc à repenser l’engagement volontaire. Celui-ci est souvent mythifié, placé entre volontariat réel et mobilisation. La grande majorité des engagés étrangers de 1939-40 sont pourtant qualifiés de volontaires.

Pour les nombreux Juifs immigrés (provenant surtout d’Europe centrale et orientale) vers la fin des années 20 et dans les années 30, la question se pose autrement. Ils sont arrivés en France jeunes (voire très jeunes). Beaucoup y ont grandi. De plus, nombre d’entre eux ne sont pas astreints aux obligations incombant aux bénéficiaires du droit d’asile. Pour les Juifs, l’engagement en 1939 est une chose naturelle, et n’intervient
majoritairement pas comme une contrainte.

Il exista une kyrielle de motivations à l’engagement. L’antifascisme et le désir de servir le pays d’accueil, qui sont les deux principales motivations mises en avant par les intéressés et par l’armée, relèguent souvent au second plan d’autres buts : désir de naturalisation, obtention des masques à gaz pour les familles des engagés… Certains ne concevaient pas de ne rien faire pendant que d’autres étaient mobilisés, ou d’autres, encore, se sont engagés pour faire comme les copains. Il ne faut pas sous-estimer le facteur d’adhésion à un mouvement collectif, qui a pu tenir une place importante, surtout dans un phénomène de masse aussi important que l’engagement étranger.

Extrait du journal de marche du 22e RMVE annoté par les Faux Amis.
1. Retrouvez l’article complet de Stéphane Leroy (doctorant en Histoire à l’université de Lorraine) sur le site de l’UEVACJ-EA.

Les Juifs étrangers étaient présents dans toutes les unités étrangères qui combattirent pendant la campagne de 1940. Il s’agissait principalement d’engagés volontaires pour la durée de la guerre. Ils étaient présents en nombre dans les RMVE (Régiments de marche de volontaires étrangers), mis sur pied pour la durée des hostilités.

Ces unités ont une filiation compliquée avec la Légion. La décision n° 41, datée du 4 mars 1940, et qui concerne le 22e RMEVE, fait mention du fait que « les régiments de marche de volontaires étrangers sont des formations qui ne dépendent pas organiquement de la Légion étrangère ». À l’époque, celle-ci refuse de les reconnaître comme unités Légion à part entière et, ce, malgré les symboles militaires et identitaires
qu’ils partagent : les couleurs rouges et vertes des épaulettes – inversées par rapport aux régiments Légion –, la grenade à sept flammes, la fête de Camerone célébrée au camp du Larzac par les 22e et 23e RMVE le 28 avril 1940. Ce n’est qu’en 1985 qu’une reconnaissance officielle est effectuée.

L’engagement des étrangers en général, et des Juifs étrangers en particulier, s’est parfois apparenté à un chemin semé d’embûches : lenteur des autorités, refus de l’inscription pour des motifs divers et parfois obscurs…
Comme le souligne justement Jean-Louis Crémieux-Brilhac : « Les volontaires étrangers ne constituaient pas une priorité. » Dans ses travaux, l’historien américain Douglas Porch a également démontré que l’engagement des Juifs n’était pas du goût de tout le monde. Des mesures ont été prises, en février 1940, pour limiter le nombre de Juifs étrangers dans l’armée. Ils n’y sont pas les seuls « indésirables ». La peur de
la subversion jette le doute sur le loyalisme des Allemands, Autrichiens et les communistes. La montée de la xénophobie en France depuis le début des années 30 n’y est pas non plus étrangère.

Les étrangers ouvrirent donc leurs propres bureaux de recrutement. Leur attachement envers la France était réel, comme en témoignent certaines lettres adressées aux autorités françaises par des organismes étrangers. Les anciens combattants étrangers de la Grande Guerre tinrent une place primordiale dans la mobilisation de leurs concitoyens. Les associations juives – comme le comité d’Entente des associations
d’anciens combattants et volontaires juifs – ouvrirent des permanences d’enrôlement, à l’image de celle située 10 rue de Lancry, dans le 10e arrondissement de Paris (théâtre yiddish avant la guerre). Le comité d’Entente aurait inscrit plus de 10 000 hommes, et la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), aurait elle reçu 12 000 engagements, « dont 99 % émanaient de Juifs ».

En recoupant certains documents, on peut reconstituer assez grossièrement le parcours des engagés juifs étrangers. Les candidats apportaient à ces bureaux les documents nécessaires à l’engagement (carte d’identité…), et signaient un papier attestant de leur souhait de s’engager, promesse d’un engagement futur. L’association se chargeait par la suite d’expédier ces documents aux autorités militaires.
Les « centres spéciaux de recrutement des étrangers » convoquaient ensuite les candidats à la visite médicale. Lorsqu’ils étaient reconnus aptes au service, on leur délivrait un certificat d’aptitude physique à souscrire un contrat dans l’armée française. Ce dernier précise que « (le candidat) recevra en temps voulu une convocation pour signer son contrat. Aussitôt après la signature de ce contrat, il sera dirigé sur un centre d’instruction ». Il exista, en France, plusieurs centres d’instruction : le camp de Barcarès (dépôt des RMVE), le camp de Sathonay-la-Valbonne (« Régiments de Légion étrangère »), où encore le camp du Larzac, utilisé pour aguerrir les hommes au combat. Nonobstant, le temps d’attente entre la visite médicale et l’incorporation pouvait être assez long et certains étrangers ne se présentèrent pas lorsqu’ils reçurent leur convocation.

Des lendemains incertains : prisonniers de guerre, résistants et déportés

Les prisonniers de guerre juifs de l’armée française ont connu des fortunes diverses. Dès la fin des combats, les Allemands ont tenté de les séparer des autres soldats. Certains se sont déclarés juifs lors des contrôles ou de l’immatriculation des prisonniers de guerre. Nombre de cadres français ont également protégé leurs
hommes, affirmant aux Allemands que leurs troupes étaient constituées de soldats français. Certains prisonniers juifs ont été libérés et ont pu revenir en France. Ils ont ensuite connu les camps de Pithiviers, Beaune-la-Rolande ou Drancy. Beaucoup ont été ensuite déportés vers les camps d’extermination.

À l’inverse, ce qui peut paraître paradoxal, ceux qui sont restés dans les camps de prisonniers allemands ont échappé à la déportation, « protégés » par leur uniforme. Ils ont néanmoins connu les brimades, les coups et une vie plus que difficile. Les tâches les plus pénibles leur étaient réservées. Le témoignage de E. Lefebvre, publié dans Notre Volonté 1, contredit néanmoins celui de Joseph Okonowski, d’après qui les Juifs sont interdits de travail. Ce dernier s’est infiltré dans un kommando sortant travailler en dehors du camp, pour trouver de quoi se sustenter convenablement. Les deux hommes étaient pourtant dans le même camp, celui d’Hohenfels,
en Bavière. Ils décrivent néanmoins deux états de fait différents. D’autres ont caché, lors de l’immatriculation, leur confession juive. Ils ont ainsi pu sortir travailler en dehors des stalags, échapper à la discrimination et à la brutalité antisémite de certains gardiens. Dans certains camps, les prisonniers juifs devaient également porter
l’étoile jaune ou un autre signe distinctif (par exemple un « X » sur la poitrine au stalag XII C de Baumholder).
On ne sait pas, en revanche, si le port d’un signe distinctif était une mesure commune à tous les camps de prisonniers, car il semble qu’elle ne fut pas appliquée partout. Elle semblait l’être également au stalag IV B à Mülhberg. Certains se sont élevés contre, notamment le Comité international de la Croix Rouge. La discrimination résidait également en leur groupement dans des baraques juives (Judenbaracke).

Le fait qu’ils étaient prisonniers de guerre ne signifie en rien qu’ils sont restés passifs. Au sein même des camps de prisonniers, des activités de résistance se sont développées : mise en place de filières d’évasion, sabotages divers, maintien du moral, organisation de services religieux pour les plus pieux…

Les étrangers ont été très actifs dans les maquis français. Ainsi, de nombreux Juifs, d’Europe centrale surtout – Allemands, Polonais… – ont intégré des mouvements de résistance d’obédiences (communistes, sionistes, bundistes…) et aux objectifs divers (lutte armée, action sociale, à l’image du sauvetage d’enfants).
L’exemple le plus connu est le groupe Manouchian (FTP-MOI), composé de Juifs d’Europe centrale et d’antifascistes espagnols et italiens. La FTP-MOI – communiste – comptait une sous-section juive, constituée de « yiddishophones » (pour l’essentiel d’origine polonaise). Les communistes ont également créé le Travail Allemand, qui avait pour but de diffuser de la propagande dans les unités et les services allemands.
En marge de la résistance communiste, il exista également d’autres groupes comme l’Armée juive, qui devient en 1944 l’Organisation juive de combat, d’obédience sioniste. Les Éclaireurs israélites de France ont également pris part au combat contre l’occupant, à partir de 1943.

D’autres ont pu rejoindre la France libre. De nombreux Juifs servent également dans les armées britannique et américaine.

Si l’engagement militaire dans les unités de l’armée française concernait exclusivement des hommes, la Résistance a également vu la participation de nombreuses femmes. Les étrangères y ont joué une part et parmi elles, les juives, comme Olga Bancic (communiste roumaine du groupe Manouchian).

La lutte des Juifs ne s’est pas arrêtée aux maquis ni à la France. Elle a également eu lieu dans les ghettos et les camps de la mort, où ils ont lutté contre leurs bourreaux, tant par les armes qu’en tentant de conserver une trace de ce qui s’était passé. Ils ont de la sorte prouvé qu’ils ne s’étaient pas fait mener comme des moutons à l’abattoir, ce qu’on peut parfois, hélas, entendre dire.

1. Journal associatif de l’UEVACJ-EA.

La parole aux Faux Amis

Dans le livre, on voit le héros, Henri, s’engager, ainsi que d’autres étrangers.

Hélène travaille d’abord dans un dispensaire. Pendant la guerre elle prépare des colis avec les autres femmes pour soutenir les hommes à la guerre. Puis, elle intègre une organisation type OSE (OEuvre de secours aux enfants) qui cache des enfants. Elle est résistante et déportée comme telle. (Texte face au départ des prisonniers, face à la grille, image d’archives des femmes, texte face à l’infirmerie, texte face aux papiers brûlés.)

Pour la période de la guerre, nous avons utilisé des archives de l’UEVACJ-EA et de l’ECPAD (Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense). En effet, si les premières permettent de voir un peu la vie dans les camps (bien que les photos soient posées), seule l’armée détient des images des batailles ou des actions sur le terrain. Là encore les lectures se sont avérées essentielles (David Diamant, La résistance juive entre gloire et tragédie).

Certaines vidéos (1, 2, 5, 6, 7, 8, 9, 12) de la série « Les Passeurs » évoquent l’engagement :
1 : La femme d’un engagé volontaire (« il n’était pas obligé mais il s’est battu ») qui s’est battu, a été blessé, puis démobilisé, attend un passeur. On peut supposer qu’ils sont juifs (obligés de se cacher) et qu’ils essaient de passer la ligne de démarcation (« franchir la ligne »).

2 : Juif polonais émigré en France, père de trois enfants. Il devient engagé volontaire à l’annonce de la guerre : « Mais on savait tous pourquoi on allait se battre. On se sentait chez nous, il fallait défendre ça. »

Il intègre le 23e RMVE, prisonnier dans un stalag, puis libéré. Convoqué par la police à son retour, interné à Pithiviers et déporté avec sa famille.

5 : Juif de l’est, émigré à Paris. Communiste, il fait la guerre d’Espagne (« on partait défendre la liberté » ), est blessé, revient en France et se marie. Il acquiert la nationalité française. Il s’engage dès que la guerre éclate. Il est prisonnier en Allemagne jusqu’à la fin de la guerre. Pendant ce temps, sa femme a été déportée.

6 : Une jeune fille immigrée (« je n’ai aucun souvenir d’avant, j’étais trop petite ») décrit les conditions de vie de sa famille et l’engagement de son père (« grâce à lui, on va avoir des papiers »).

On peut supposer qu’ils sont juifs (« on se promène… librement »).

7 : Un homme s’évade d’un premier camp, puis d’un autre en Norvège. Il arrive en Pologne, à Varsovie où il a des amis (ce qui peut laisser supposer qu’il est Polonais d’origine). Il lutte lors de la liquidation du ghetto de Varsovie (ce qui peut laisser supposer qu’il est juif).

8 : Femme juive communiste qui rejoint son mari en France. Au milieu de la guerre, son mari est arrêté et interné à Beaune-la-Rolande. Elle cache ses enfants. Quand son mari est finalement déporté à l’est, elle aide un groupe de résistants en faisant du transport d’armes et de renseignements.

9 : Femme sans doute juive. Résistante, elle est torturée pour qu’elle livre les noms de « ses petits copains juifs ». Mais elle ne dit rien.

12 : Un homme dans la file d’attente pour l’engagement volontaire, il est communiste (siffle l’Internationale).

• Dans la vidéo « Quelques lettres et des photos » : les deux frères aînés s’engagent dans la Légion et les RMVE. Le premier fera la campagne d’Italie et le deuxième sera prisonnier en stalag.

• La vidéo « 34/44 » raconte 10 ans de la vie d’un homme à travers l’évolution de son corps (immobile face à la caméra). Immigré, ouvrier, engagé dans l’armée, au coeur de la guerre, clandestin après la défaite, résistant, arrêté et torturé, déporté. Ainsi peut-on identifier certaines étapes de son parcours, pourtant rien n’est dit, et tout est laissé à l’interprétation du spectateur.
Notre volonté étant encore une fois d’avoir une image très actuelle.

• La vidéo « Rafales » : Le narrateur reconstitue la dernière bataille d’un RMVE pendant que des archives photos et vidéos des combats de 39-45 sont projetées sur lui. Encore une fois, le désir de faire revivre ces archives et de rappeler, au passage, que l’armée française (et notamment les RMVE) s’est bel et bien battue, accusant des pertes sévères.

• La vidéo « Tenir coûte que coûte » est une déambulation dans les paysages de Marché-le-Pot aujourd’hui, alors qu’il ne reste rien de visible des batailles qui s’y sont déroulées. Les plans fixes, la nature indifférente, s’opposent à l’intensité du journal de marche. Une réflexion sur la mémoire du territoire.

deuxième partie : 
ressOurces

Fiche 1 : Comment traiter de la mémoire collective ?

- L’historien face à la guerre des mémoires : entretien avec l’historien Pierre Nora, paru dans le dossier
« Comment traiter de la mémoire collective ? »
laligue.org (avril/mai 2012).................................................................................................................. 18

- Questionnaire du dossier « Comment traiter de la mémoire collective »
laligue.org (avril/mai 2012).................................................................................................................. 20

Fiche 2 : Le collectif Faux Amis

- L’art au service de la mémoire : entretien avec le collectif Faux Amis,
paru dans les Idées en mouvement n° 198, avril 2012.................................................................................................................... 21

Fiche 3 : Lexique

- Vocabulaire historique : l’engagement volontaire des Juifs étrangers........................................................................................................... 23

- Vocabulaire artistique : images fixes, images en mouvement....................................................................................................... 25

Fiche 4 : Références

- Documentaires............................................................................................... 27

- Fictions/créations.......................................................................................... 28

Fiche 5 : Atelier d’éducation à l’image

- Cadre général : lecture d’une photographie.................................................................................................... 29

- Exemple à partir d’images de La Marche............................................................................................................... 30

- Exemple d’images animées à partir de La Marche : quelques lettres et des photos................................................................................................................ 32

Fiche 6 : Making off de la vidéo « Quelques lettres et des photos »........ 35

Fiche 7 : Éléments d’analyse

- La Marche, un récit de fiction....................................................................... 37

- La Marche, une histoire incarnée................................................................ 40

Fiche 8 : Pour aller plus loin

- Images d’archives et création artistique contemporaine......................... 42

ressources

19

Fiche 1

Comment traiter de la mémoire collective ?

L’historien face à la guerre des mémoires

Entretien réalisé avec Pierre Nora 1

(Texte extrait du dossier laligue.org « Comment traiter de la mémoire collective ? »,
avril-mai 2012).

En se laissant entraîner dans la surenchère des lois mémorielles, les politiques ont
contribué à entretenir une « guerre des mémoires » qui focalise l’attention sur les
victimes des grandes catastrophes historiques. Le travail des historiens les amène
à s’intéresser à ces victimes, mais l’intrusion du politique et du juridique dans ce
travail n’est guère compatible avec les exigences de l’histoire comme discipline ; et
ce n’est pas non plus la meilleure façon de servir la mémoire.

Vous êtes l’un des responsables de Liberté pour l’histoire, une association qui s’est constituée en 2005 dans le contexte de l’« affaire Pétré-Grenouilleau ». Pourriez-vous nous rappeler les conditions dans lesquelles un groupe d’historiens réputés a été amené à intervenir dans le débat public ?

Pierre Nora : L’année 2005 avait été marquée par deux phénomènes : l’affaire que vous évoquez avait été précédée de la loi Mekachera, du nom du ministre délégué aux Anciens combattants, adoptée en février. L’un des articles de cette loi stipulait que les manuels et les programmes devaient faire à la colonisation la place qu’elle mérite, en reconnaissant son « rôle positif ». Cette loi était notamment inspirée par des anciens d’Algérie et par des Harkis. L’un de ses enjeux était de faire pièce à la loi Taubira
de 2001, qui reconnaissait la traite et l’esclavage des Noirs comme des crimes contre l’humanité.

C’est dans ce contexte délétère que survient ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Pétré-Grenouilleau ». Cet universitaire avait publié l’année précédente, dans la collection que je dirige chez Gallimard, un livre qui constituait une tentative d’histoire totale de l’esclavage en Afrique, faisant la part, à côté du commerce triangulaire organisé pendant près de quatre siècles par les Européens, à la traite intra-
africaine et à celle menée par les Arabes. L’enjeu n’était pas de diluer les responsabilités mais plutôt de remettre en perspective ; et le livre était dédié à la mémoire des esclaves déportés. Ce livre reçut le prix du Sénat, et au sortir de la cérémonie un collectif se présenta, sommant le jury de retirer le prix
et posant au lauréat une batterie de questions qui formèrent la base d’une interview parue dans Le Journal du dimanche. Répondant à ces questions, Olivier Pétré-Grenouilleau précisa notamment que la traite des Noirs et le génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale ne pouvaient être comparés, puisque dans un cas il y avait eu ambition d’extermination et dans l’autre pas. Évoquant le mouvement des Indigènes de la République, il expliqua qu’il s’agissait à ses yeux d’une affiliation
intellectuelle plutôt que d’une généalogie personnelle, car si parmi les gens qui se reconnaissaient dans ce mouvement il y avait des Antillais dont les ancêtres avaient sans doute été esclaves, il y avait aussi des Africains pour lesquels une telle affiliation était une vue de l’esprit. On connaît la suite : Pétré-Grenouilleau fut attaqué publiquement pour son racisme supposé, et une plainte fut déposée à son
encontre pour négation de crime contre l’humanité.

C’est un moment particulier de notre histoire récente, car on a vu se matérialiser un risque depuis longtemps dénoncé. D’un seul coup, les dérives des lois mémorielles (de droite comme de gauche) devenaient tangibles.

Parmi les protestations, il y eut notamment celles de l’historien Gérard Noiriel, qui fonda un Comité de vigilance contre les usages politiques de l’histoire, et celles des « 19 » qui allaient fonder Liberté pour l’histoire, et réclamaient l’abrogation de toutes les lois mémorielles, y compris la loi Gayssot. Certains
1. Historien et directeur de la « Bibliothèque des histoires » aux éditions Gallimard, Pierre Nora a dirigé les sept volumes des Lieux de mémoire (Gallimard, 1984-1992). Il a récemment publié Présent, nation, mémoire (Gallimard, 2011).
Il est à l’origine, avec d’autres historiens, de l’association Liberté pour l’histoire.

ressources

des arguments invoqués n’étaient pas nouveaux : en 1990 déjà, Pierre Vidal-Naquet – pourtant peu suspect de complaisance vis-à-vis du nazisme et des négationnistes – s’était élevé contre le projet de loi Gayssot en expliquant qu’il ne fallait pas céder à des pressions et qu’il était périlleux de privilégier un groupe. Une autre historienne, Madeleine Rebérioux, qui avait été membre du PC et savait ce que peut signifier l’intrusion du politique dans le travail des chercheurs, avait protesté elle aussi. Je m’étais moi aussi déclaré contre ce projet, avec l’idée que si l’on cédait à cette tentation, d’autres groupes de pression se manifesteraient.

De fait, les deux lois de 2001 (sur le génocide arménien et sur la traite des Noirs) ont montré une tendance des principaux « groupes de mémoire » à réclamer et à obtenir la sanctuarisation de son passé.
Et lorsque la polémique a éclaté en 2005 on s’est aperçu que d’autres lois étaient en préparation, portant sur la reconnaissance du « génocide vendéen » de 1793, la famine ukrainienne des années 1930,
l’extermination des Tziganes pendant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi la Saint-Barthélémy…

La mobilisation des historiens porte dès lors sur les lois de mémoire dans leur ensemble. Ne devrait-on pas cependant distinguer entre celle de 1990 et les autres ?

On peut en effet considérer que la loi Gayssot répondait à une menace précise (le négationnisme) et surtout qu’elle visait à faire reconnaître des faits établis par un tribunal, en l’occurrence celui de Nuremberg. Les autres lois présentent un caractère plus politique, moins solide juridiquement. En outre, elles posent un problème bien connu des historiens, qui est celui de l’anachronisme : quel que soit le jugement que l’on porte sur l’esclavage et la traite des Noirs, la qualifier de crime contre l’humanité pose problème, dans la mesure où la notion est largement postérieure (elle a été élaborée à Nuremberg). Plus largement, les jugements moraux que nous pouvons porter sont issus de notre époque, et il est périlleux de les transposer sur une époque antérieure. En outre, si l’on cherche des horreurs, on en trouve, et toute l’Histoire de France peut y passer !

Le travail de l’historien, dans la recherche comme dans l’enseignement, consiste précisément à faire sentir la différence des temps, à éviter l’anachronisme, la condamnation de principe au nom de valeurs contemporaines. Marc Bloch a écrit de belles pages sur ces points. La plupart des historiens hésitent d’ailleurs à utiliser des notions comme « génocide » pour qualifier des faits antérieurs au XXe siècle,
préférant parler de « massacres de masse » et renoncer au rayonnement douteux de ce diamant noir de l’histoire humaine.

Bien sûr, nous sommes sensibles nous aussi aux injustices qui parsèment l’histoire humaine, et je comprends parfaitement qu’on soit tenté de réparer des injustices historiques – même s’il est évident que lorsqu’on parle des lois de mémoire la part des calculs politiciens à la petite semaine est évidente.
Mais il me semble que si le sentiment spontané que j’éprouve en tant qu’être humain est de compatir et d’adhérer au projet de réparation, en tant qu’historien je ne peux approuver ces lois, qui nous amènent à mettre le doigt dans l’engrenage de la guerre des mémoires. Cela a des conséquences néfastes sur la société actuelle. Et l’enjeu est aussi pour moi de préserver l’histoire de la contamination par l’émotion… et par le jugement politique. Il y a des lois de mémoire de droite, des lois de mémoire de gauche, là encore le mouvement peut s’emballer.

Après la crise de 2005, nous avons cru l’affaire en veilleuse, mais les politiques ont remis le couvert dès 2006 (avec une première tentative sur l’Arménie), et à l’initiative du président Chirac la Commission européenne a même tenté de faire passer en 2007 une directive reprenant et élargissant la loi Gayssot. Et alors même qu’en France une commission parlementaire avait conclu à l’unanimité moins une voix, en 2008, qu’il valait mieux à l’avenir s’abstenir de toute forme de loi sur la qualification du passé, il y a eu, enfin, cette loi de 2011 qui non contente de pénaliser la contestation du génocide
arménien ouvrait sur la possibilité de nouvelles lois… Le Conseil constitutionnel, saisi par 60 sénateurs, a censuré cette loi. Mais on peut s’inquiéter de la suite : les deux principaux candidats à l’élection présidentielle ont l’un et l’autre promis qu’ils proposeraient un nouveau texte.

Or il me semble qu’en donnant ainsi satisfaction à toutes ces mémoires douloureuses, on institue la division, la concurrence voire la guerre des mémoires. Ce n’est pas seulement l’Histoire qu’il s’agit de défendre, mais bien notre société. Et l’histoire, qui examine les faits avec méthode et d’une façon sinon neutre, en tout cas dépassionnée : la connaissance est commune, l’histoire ne doit pas diviser, elle doit réunir.

Propos recueillis par Richard Robert

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Questions

1/ Qu’est-ce qu’une loi mémorielle ?

r A : Une loi interdisant à quiconque de discuter un fait historique sous peine de
poursuites

r B : Une loi qui instaure les dates de commémorations et de fêtes nationales
r C : Une loi qui décide de la création de mémoriaux

2/ Le crime contre l’humanité devient « imprescriptible » par nature en ?

r A : 1946
r B : 1958
r C : 1964

3/ Quelle est la date de la première loi destinée à combattre le racisme ?

r A : 1962
r B : 1968
r C : 1972

4/ Parmi ces pays, lequel n’a pas reconnu le génocide arménien ?

r A : Israël
r B : L’Uruguay
r C : Les Pays-Bas

5/ La France a reconnu deux génocides. Mais les Nations unies en reconnaissent…

r A : 3
r B : 4
r C : 6

6/ Combien la France compte-t-elle de « lois mémorielles » ?

r A : 3
r B : 4
r C : 5

7/ Quelle est la dernière journée nationale en date ?

r A : La journée d’hommage aux Harkis
r B : La journée d’abolition de l’esclavage
r C : La journée du Beaujolais nouveau

8/ La lecture de la lettre de Guy Môquet a été remplacée par…

r A : Une cérémonie dédiée à la mémoire d’un des 11 000 enfants déportés pendant l’Occupation
r B : Une journée consacrée à la jeunesse résistante
r C : Une fête à la Mutualité

Réponses

1/ Réponse A. Cette expression est apparue au cours des débats sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005, qui introduisait une référence aux aspects positifs la colonisation.

2/ Réponse C. En 1964. Dans un article unique.

3/ Réponse C. La loi de juillet 1972 est la première loi spécifiquement destinée à combattre le racisme sous ses différentes formes.

4/ Réponse A. Israël comme le Royaume-Uni, par exemple, fait partie des pays qui ne considèrent pas que les atrocités commises répondent à la définition de génocide. L’Uruguay est le premier pays qui a reconnu le génocide arménien en 1965.

5/ Réponse B. Les Nations unies reconnaissent, en plus des génocides perpétrés contre les juifs et les arméniens, celui perpétré par les Khmers rouges au Cambodge de 1975 à 1979 et celui des Tutsis, commis au Rwanda en 1994.

6/ Réponse B. La France compte 4 lois mémorielles (1990, dite « loi Gayssot », « tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe ». Deux lois en 2001, celle du 29 janvier « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 » ; celle du 21 mai, dite « loi Taubira », « tendant à la reconnaissance de la traite et
de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité ». La dernière est celle du 23 février 2005, dite « loi Mekachera » « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » d’Afrique du Nord et d’Indochine. La dernière loi, qui prévoyait de punir la négation du génocide arménien, a été censurée par le Conseil constitutionnel en février 2012.

7/ Réponse A. Le 31 mars 2003, Jacques Chirac promulgue un décret officialisant et instaurant une journée nationale d’hommage aux Harkis. La journée commémorative de l’abolition de l’esclavage, le 10 mai, résulte de la loi Taubira de 2001.

8/ Réponse B. En 2007, Nicolas Sarkozy avait programmé pour le 22 octobre la lecture, dans les établissements scolaires, de la lettre du jeune résistant Guy Môquet, écrite avant son exécution. Face à la polémique, la journée sera finalement consacrée à la jeunesse résistante. Un an plus tard, il proposera que les enfants se voient
confier la mémoire d’un des 11 000 enfants déportés pendant l’Occupation. Une idée abandonnée également.

(Questionnaire extrait du dossier laligue.org « Comment traiter de la mémoire collective ? », avril-mai 2012).

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Fiche 2

Le collectif faux amis

L’art au service de la mémoire

Entretien réalisé avec le collectif Faux Amis.

(Texte extrait du journal Les idées en mouvement, n° 198 d’avril 2012).

Lucie Pastureau, Lionel Pralus, Hortense Vinet : trois jeunes artistes réunis au sein
du collectif Faux Amis. Résidence d’artistes, ateliers pédagogiques… leurs projets
prennent des formes diverses. Actuellement en résidence pendant quatre mois, ils
répondent à une commande conjointe de l’Union des engagés volontaires, anciens
combattants juifs – leurs enfants et amis et de la Ligue de l’enseignement, sur le
travail de mémoire.

Dès votre sortie de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, vous avez démarré en intégrant un collectif. Pourquoi ce choix ?

« Faux Amis » : Le collectif s’est formé en 2008. À l’époque, nous avions en commun des projets de fin d’études portant sur la famille, l’intime, la mémoire, ou encore la narration en photographie. L’idée du collectif était donc de conserver cette émulation, cette motivation qui nous avait animés en travaillant ensemble. Et aussi de continuer à suivre le travail de chacun, car nous sommes très réceptifs aux sensibilités artistiques des uns et des autres, ce qui nous permet d’avancer collégialement dans notre démarche artistique. Et enfin, ce sont des raisons purement pratiques qui nous ont conduits à former ce collectif : réduire les coûts en partageant le matériel dans un premier temps. Ensuite, nous avons constaté que le collectif servait notre notoriété car il est plus visible, sur Internet notamment – au travers de nos blogs, sites et pages Facebook.

Vous êtes actuellement en résidence d’artistes. En quoi cela consiste -t-il ?

Lorsque nous sommes en résidence, nous travaillons sur une oeuvre répondant à une commande. À chaque commande sa particularité. Dans tous les cas, nous devons nous l’approprier pour « évaluer » la liberté de création dont nous disposons. Nous avons vécu notre première résidence en 2009, lors des Photaumnales de Beauvais, où nous avons travaillé la question de la mémoire familiale. Actuellement, en résidence à l’UEVACJ-EA (Union des engagés volontaires, anciens combattants juifs – leurs
enfants et amis), nous abordons également la thématique de la mémoire mais plus largement, en traitant de l’histoire. Notre travail consiste ici à répondre à une commande conjointe de l’UEVACJ-EA et de la Ligue de l’enseignement sur L’engagement volontaire des Juifs étrangers pendant la Seconde Guerre mondiale.

La mémoire se trouve au coeur de vos créations. Pourquoi cette thématique plutôt qu’une autre ?

Déjà lors de nos travaux d’étude, nous traitions de la narration, de la construction du récit et de l’ellipse. Chacun avait travaillé, à sa façon, le thème de la famille et de l’enfance ; donc les souvenirs et la question de la mémoire. Nous partageons cet intérêt pour l’image récupérée, amateur, tirée de l’album de famille. Entre famille, mémoire et histoire, nous faisons sans cesse des allers-retours. Le passage de l’intime à quelque chose de plus général nous intéresse particulièrement. Dans le cas de la résidence à l’UEVACJ-EA, c’est l’inverse, puisque notre travail consiste à singulariser une grande histoire.

Autre chose traverse nos oeuvres : la mémoire des images. Les images d’archives, les photos d’histoire sont des images qu’on a tous déjà plus ou moins vues : ces photos posées, marquées par le noir et blanc. Dans la résidence de l’UEVACJ-EA, il s’agit de s’approprier ces images-là et de ne plus les considérer comme « simples » images d’histoire. Ceci pour pouvoir se projeter dans UNE histoire ; de raviver, avec le récit qu’on s’en fait aussi, ces photos, catégorisées comme appartenant au passé ; de les remettre en récit avec nos propres images, de réancrer cette histoire dans une réalité, d’où des images en couleur, des images en mouvement.

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Vous menez en parallèle de la résidence des ateliers pédagogiques. Quelle forme prennent-ils et comment se combinent vos différentes activités ?

Animer des ateliers pédagogiques est effectivement un autre volet de notre activité. Les interventions en milieu scolaire nous ont plu dès le début. Aujourd’hui, nous animons des ateliers assez régulièrement auprès de publics d’enfants et d’adultes avec la Maison du Geste et de l’Image à Paris. Une partie de ce qui est produit en atelier pédagogique alimente notre travail de création car on s’y implique énormément.
On tente des choses. Par exemple on a testé en atelier, avec des enfants, la technique du « stop motion » qui consiste en une animation photo image par image. Cette technique, nous l’avons réutilisée dans le cadre de la résidence à l’UEVACJ-EA. Nos différentes activités ne sont ainsi jamais complètement cloisonnées. Nos expériences se nourrissent les unes des autres.

Propos recueillis par Marie Brillant et Mélanie Gallard

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Fiche 3

Lexique

Vocabulaire historique : l’engagement volontaire des Juifs étrangers

Apatride : personne qui se considère en rupture avec son pays natal. Statut élaboré dans les années 20 pour protéger les réfugiés russes fuyant la guerre civile, puis les Arméniens fuyant le génocide.
Ce statut était symbolisé par la remise d’un titre de circulation, le passeport Nansen (du nom de Fridtjof Nansen – Norvégien –, Haut-commissaire pour les réfugiés, à la Société des Nations).

Armée polonaise en France : armée polonaise reconstituée en exil après la défaite militaire de la Pologne en septembre 1939. Placée sous l’autorité politique du gouvernement polonais en exil et sous l’autorité militaire française. Constituée de militaires évacués de Pologne et de ressortissants polonais immigrés en France. Ces unités ont pris part à la campagne de France, aux côtés des Français. Certaines ont également combattu en Norvège (bataille de Narvik). Par la suite, les forces armées polonaises de l’Ouest ont pris part à toutes les opérations de la guerre aux côtés des Alliés.

Armée tchécoslovaque en France : armée tchécoslovaque reconstituée en France à partir du 2 octobre 1939 (date de la signature de l’accord franco-tchécoslovaque). Placée sous l’autorité politique du gouvernement provisoire tchécoslovaque en exil et sous l’autorité militaire du Haut Commandement français. Ces unités ont pris part à la campagne de France, aux côtés des Français. Par la suite, les Tchécoslovaques ayant rallié la France libre ont continué la lutte aux côtés des Alliés.

Bataille de Narvik : voir « campagne de Norvège ».

Brigades internationales : unités internationales organisées entre 1936 et 1938 à l’instigation du Parti communiste, et destinées à combattre les rebelles nationalistes, aux côtés de la République espagnole (guerre civile 1936-1939). Composées de volontaires de toutes les nations, majoritairement d’antifascistes.

Bund : Union générale des travailleurs juifs. Mouvement socialiste juif créé à la fin du XIXe siècle dans l’Empire russe.

Campagne de France : période faisant suite à la « drôle de guerre » (3 septembre 1939-10 mai 1940). Opérations militaires sur le front ouest entre le 10 mai (percée allemande de Sedan) et le 22 juin 1940 (signature de l’armistice). Les Français et leurs alliés furent opposés aux Allemands, qui ont envahi les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. D’après le Service Historique des Armées, les pertes françaises se sont élevées à 58 829 hommes.

Campagne de Norvège (début avril-début juin 1940) : expédition militaire franco-polono-britannique, dont l’objectif était de soutenir la Norvège (attaquée par l’Allemagne début avril 1940), et de couper l’acheminement allemand en fer suédois. La plus célèbre bataille livrée au cours de cette campagne fut celle de Narvik. En dépit des succès militaires sur le terrain (les premiers de la guerre pour les Alliés), cette expédition fut considérée comme un échec par les hauts responsables politiques anglais et français.

« Drôle de guerre » : sur le front ouest-européen, période qui se caractérise par l’absence d’opérations d’envergure et la stagnation du front. Elle dura du 3 septembre 1939 (déclaration de guerre de la France et de ses alliés à l’Allemagne) au 10 mai 1940 (attaque allemande à l’Ouest).

EVDG : Engagé volontaire pour la durée de la guerre. On trouve parfois « Étranger » au lieu d’« Engagé ». Homme qui souscrit un contrat dans l’armée pour la durée des hostilités. Une fois celles-ci terminées, il est libérable. Pour les étrangers, en 1939-1940, ces contrats étaient souscrits « au titre de la Légion étrangère ».

Juifs ashkénazes : Juifs d’Allemagne, d’Europe centrale et orientale et d’Europe de l’Est.
Juifs séfarades (peut également être orthographié « sépharade ») : branche du judaïsme espagnol et portugais. Descendants des Juifs expulsés d’Espagne en 1492 et qui ont trouvé refuge dans divers pays (Balkans… mais surtout dans l’ancien Empire ottoman, qui les a accueillis).

Kommando : dans un camp de prisonniers ou de déportés en Allemagne, désigne un groupe de travailleurs forcés.

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Ladino (ou judéo-espagnol) : langue des Juifs séfarades, constituée d’un mélange de castillan médiéval et d’hébraïsmes. Écriture hébraïque.

Légion étrangère : corps militaire français composé d’étrangers, créé en 1831 sous le règne de Louis-Philippe. Destinée à combattre hors de la métropole (exception faite des deux guerres mondiales). Héritière des troupes étrangères servant la France (Régiment de Hohenlohe, gardes suisses…). Elle a pris part à toutes les campagnes militaires françaises depuis sa création.

Oflag : abréviation de Offizierlager. Pendant la Seconde Guerre mondiale, désignait un camp de prisonniers réservé aux officiers, en Allemagne.

Pogrom : terme utilisé pour désigner des violences contre une communauté. Les pogroms visent principalement la population juive, mais pas exclusivement. Les pogroms contre les Juifs (vols, meurtres, massacres…) ont surtout eu lieu en Europe centrale et orientale (Allemagne, Pologne,
Ukraine…) et en Europe de l’Est (Empire russe…), à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle.

Régiment : unité militaire regroupant plusieurs bataillons, son effectif moyen est de 3 000 hommes, commandé par un colonel.

Régiments de marche de volontaires étrangers (21e, 22e, 23e RMVE) : unités composées d’étrangers. Mises sur pied entre 1939 et 1940 pour la durée de la guerre au camp de Barcarès (dépôt commun des RMVE). Un régiment était composé de 3 bataillons, d’une compagnie de commandement, d’une compagnie régimentaire d’engins, d’une compagnie de pionniers, et d’une compagnie hors rang (rattachée à l’État-major du régiment). Chaque compagnie comptait une compagnie d’accompagnement (armement collectif : mitrailleuses, canons antichars, mortiers…, en général motorisée). On trouve parfois ces unités sous la dénomination « Régiments de marche des engagés
volontaires étrangers » (RMEVE), ou de « corps spéciaux d’étrangers dépendant organiquement de l’armée française ». Elles se sont illustrées lors de la campagne de France. Le 22e a reçu une citation à l’ordre de l’Armée pour son action au combat.

Sionisme : théorie politique selon laquelle les Juifs constituent un peuple et qu’à cet effet, ils doivent disposer d’un État (la Palestine, considérée comme terre historique du judaïsme). Père de cette théorie : Théodore Herzl (1860-1904), et son ouvrage L’État juif (paru en 1896).

Shtetl : village juif d’Europe centrale et de Russie.

Stalag : abréviation de Stammlager. Pendant la Seconde Guerre mondiale, désignait un camp de prisonniers réservé aux sous-officiers et hommes de troupe des forces alliées, en Allemagne.

Yiddish : langue vernaculaire des Juifs d’Europe centrale et orientale. Langue germanique dérivée du haut allemand avec un apport d’hébreu, de slave et de français. Née en Rhénanie (Allemagne) au XIIe siècle.

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Vocabulaire artistique : images fixes, images en mouvement

Animation : art d’animer l’immobile, de créer le mouvement par juxtaposition de dessins ou de photographies représentant les phases successives d’un mouvement. C’est le procédé dit de l’image par image.

Animation en volume (ou pixilation, terme introduit par le cinéaste Norman McLaren) : technique d’animation où des objets (ou des acteurs réels) sont filmés image par image. Entre chaque image, les objets ou les corps sont légèrement déplacés ou déformés. Lorsque le film est projeté à la vitesse normale, la scène semble animée (en anglais : « stop motion »).

Argentique/numérique : la photographie argentique utilise un processus photochimique : les grains d’argents présents sur la pellicule introduite dans l’appareil réagissent à la lumière en formant de minuscules agrégats constitutifs de l’image photographique. Les grains d’argent sont plus ou moins visibles sur l’image finale et c’est à ceux-ci que l’on fait référence en parlant du « grain » de la photographie (grain fin ou gros).

La photographie numérique : remplace le dispositif photochimique de l’argentique par un capteur électronique photosensible qui transforme les informations lumineuses en signaux électriques qui seront ensuite stockés sous forme de fichiers informatiques dans un dispositif de mémoire électronique.
L’image numérique est composée de pixels RVB (rouge vert bleu) dont la proportion détermine les couleurs.

Cadre : limite du champ visuel enregistré. Recadrage : modification de la limite du champ, choisie après l’enregistrement de l’image.

Champ : fragment d’espace visuel donné à voir. Hors champ : à l’extérieur de la partie visuelle enregistrée sur le film. Un son « hors champ » est produit par un objet ou un personnage qu’on ne voit pas à l’écran (= off). Profondeur de champ : zone à l’intérieur de laquelle les objets paraissent nets. La profondeur de champ est un moyen d’organiser l’espace (comédien net devant un décor flou ou net devant un décor net ou encore flou devant un décor net).

Contre-jour : lorsque la source lumineuse provient du fond de l’image, le premier plan (personnage ou objet) apparaît très sombre.

Échelle de plan : façon de cadrer un personnage ou un décor (du plan général au gros plan).

Flash-back : plan, ou suite de plans, montrant une action antérieure à l’action représentée.

Fondu : disparition progressive de l’image jusqu’au noir (fondu au noir) ou avec apparition progressive de l’image suivante (fondu enchaîné).

Format 8 mm et Super 8 : le Super 8 est un format de pellicule filmique (8 mm) pour les caméras datant d’avant l’ère numérique. Ce format était très répandu dans le cinéma amateur et notamment les films de famille. Une fois le film tourné, il fallait le faire développer chimiquement. Pour le regarder, un projecteur était nécessaire.

Image dans l’image/mise en abyme : parti pris qui consiste à inclure une image (caractérisée par son propre cadre) dans le cadre d’une autre image.

Mise en scène : choix faits par le réalisateur (ou le photographe) pour le placement des personnages, l’utilisation d’accessoires, etc. (indépendamment des choix techniques de la prise de vue).

Montage : assemblage des plans bout à bout (avec possibilité d’affiner les raccords).

Montage parallèle : type de montage faisant alterner des actions différentes mais se déroulant dans le même temps.

Panoramique : mouvement de la caméra, fixée sur un pied, qui effectue une rotation horizontale ou verticale ou en diagonale.

Photogramme : image isolée d’un plan (dans une seconde de film, il y a 24 photogrammes).


Plan : morceau de film enregistré au cours d’une même prise. Unité élémentaire d’un film monté.

Plongée : prise de vue avec la caméra orientée vers le bas. Contre plongée : prise de vue avec la caméra orientée vers le haut.

Reproduction d’images (techniques de) : pour restituer aussi fidèlement que possible le document original on utilise l’appareil photo fixé sur un pied ou un banc-titre, avec un éclairage additionnel, ou un scanner (scanneur).



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Saturation (des couleurs) : caractéristique d’une lumière colorée, mesurable par le pourcentage de couleur pure contenue dans cette lumière. Elle varie avec la proportion de blanc qui est mélangée à elle : une couleur peu saturée est dite délavée. Les logiciels de traitement des images numériques permettent de « dé-saturer » une image jusqu’au gris.

Séquence : suite de scènes formant un ensemble cohérent, même si elles ne se présentent pas dans un même décor.

Story-board : suite de dessins correspondant chacun à un plan, permettant de visualiser, dans l’ordre, le découpage d’une séquence. En cinéma d’animation, le story-board est très détaillé, avec souvent plusieurs dessins pour ce qui correspondra à un seul plan en projection.

Surimpression : truquage obtenu par superposition de deux images, à la prise de vue ou en postproduction.
On peut aussi réaliser une surimpression d’un texte sur une image.

Travelling : mouvement de la caméra qui se déplace sur un chariot, latéralement ou en avançant ou en reculant.

Vidéoprojection : dispositif de projection lumineuse d’une image ou d’un texte sur une surface, à partir d’un vidéoprojecteur.

Voix off : voix provenant d’un personnage qui n’est pas visible à l’écran.

Zoom (ou travelling optique) : utilisation d’un objectif à focale variable pour donner l’illusion d’un travelling avant ou arrière.

N.B. Le vocabulaire cinéma est celui utilisé en prise de vue « réelle ». En cinéma d’animation, la prise de vue se faisant toujours « image par image », certains termes utilisés ici (par exemple le « plan ») correspondent à l’impression qui est restituée à la projection de ce type de film.

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Fiche 4

Références

Approches historiques

Ouvrages

Le goût de la photo, ouvrage collectif, éditions Mercure de France.

Les mots de la photographie, Christian Gattinoni, éditions Belin.

Petite fabrique de l’image, Jean-Claude Fozza, Anne-Marie Garat, Françoise Parfait, éditions Magnard.

Les images d’archives face à l’histoire. De la conservation à la création, Laurent Véray, éditions Scérén, CNDP-CRDP, coll. « Patrimoine », 2011.

L’image déjà là, usages de l’objet trouvé, photographique et cinématographique, les Carnets du Bal n° 2, le Bal/Images en Manoeuvres Éditions, octobre 2011.

De Dreyfus à Vichy. L’évolution de la communauté juive en France 1906-1939, Paula Hyman, éditions Fayard, 1985.

Urbaphobie – La détestation de la ville aux XIXe et XXe siècles, Arnaud Baubérot, Florence Bourillon,
éditions Bière, 2009 (article de Jean Laloum, « Apprivoiser la ville ? Stratégie et organisation de l’immigration
juive d’Europe centrale et orientale à Paris dans l’Entre-deux-guerres »).

La résistance juive entre gloire et tragédie, David Diamant, éditions L’Harmattan, 1993.

Les Juifs pendant l’Occupation, André Kaspi, éditions du Seuil, Paris, 1991.

La France de Vichy, Robert O. Paxton, éditions du Seuil, 1973.

Être juif en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Renée Poznanski, éditions Hachette, 1994.

100 000 morts oubliés : les 47 jours et 47 nuits de la bataille de France, 10 mai-25 juin 1940, Jean-Pierre Richardot, éditions Le Cherche midi, coll. « Documents », 2009.

La France des années noires, Jean-Pierre Azéma et François Bédarida, éditions du Seuil, 1993.

Correspondances

Journal, Hélène Berr, préface Patrick Modiano, éditions Tallandier, 2007.

Une vie bouleversée, Etty Hillesum, éditions du Seuil, coll « Points », 1995.

Lettres du Stalag : 1940-1945, Joseph Rosenfeld, éditions Bruno Leprince, Paris, 2010.

Une telle monstruosité…, journal d’un médecin polonais 1939-1947, Zygmunt Klukowski, édition Calmann-Lévy-Mémorial de la Shoah, 2011.

Passeport pour Auschwitz, Correspondance d’un médecin du camp de Drancy, Dr Zacharie Mass, éditions Le Manuscrit-Fondation pour la Mémoire de la Shoah, coll « Témoignages de la Shoah »,
2012.

DVD

Nous étions des enfants, éditions de l’Attribut en partenariat avec L’Oiseau rare, sous la direction de Jean-Gabriel Carasso, coffret de 10 DVD.

Webographie

www.cercil.fr : le site du Cercil

www.memorialdelashoah.org : le site du Mémorial de la Shoah

www.musee-armee.fr/accueil.html : le site du Musée de l’Armée

www.ose-france.org : le site de l’OSE (OEuvre de secours aux enfants)

www.seconde-guerre.com : un site présentant d’une façon assez claire l’histoire militaire de la
Seconde Guerre mondiale

www.exposition.rueamelot.org : un site proposant une exposition sur les enfants cachés.

ressources

Web doc, émissions radio ou télévisées

• Les combattants de l’ombre, série réalisée par Bernard Georges (coproduction : Arte, Cinétévé, ECPAD,
Toute l’histoire — partenariat : DMPA, SNCF)

Témoignages filmés de la série regroupés géographiquement, dans une « carte des récits » :

http://lescombattantsdelombre.arte.tv/#/carte-des-recits

• Le Web Magazine « Comprendre Le monde » sur Arte :

L’enfer de Gurs, 25/10/2011

Des milliers de Juifs d’Allemagne et d’autres pays européens furent internés en France, sous le régime du maréchal Pétain, avant d’être livrés aux nazis. Leurs conditions de vie dans les camps français, et notamment à Gurs dans les Basses-Pyrénées (actuelles Pyrénées-Atlantiques), étaient totalement indignes. En
commémoration de la déportation à Gurs de plus de 7 000 Juifs d’Allemagne du Sud, il y a 71 ans, une documentation photos assortie de témoignages et d’aquarelles raconte la vie quotidienne dans le camp.

www.arte.tv/fr/content/tv/02__Universes/U1__Comprendre__le__monde/02-WebMagazines/50_20ARTE_20Histoire/31__Gurs/Foto__Rep__Gurs/3489690.html

• Podcast de l’émission radio « La Fabrique de l’Histoire » sur France culture

De l’histoire locale à la micro-histoire 4/4, débat historiographique, 29 novembre 2012.

www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-de-l-histoire-locale-a-la-micro-histoire-44- 2012-11-29

• Histoire de la photographie 2/4 : les enquêtes photographiques de la reconstruction. Un documentaire
de Séverine Liatard et Séverine Cassar, 13 novembre 2012.

www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-histoire-de-la-photographie-24-2012-11-13

• La prison 3/4 : les prisonniers de guerre, Valentin Schneider et Fabien Théofilakis, 24 octobre 2012

www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-la-prison-34-2012-10-24

• Vivre en clandestinité 2/4 : À partir de maintenant tu oublies qui tu es, itinéraires d’enfants juifs cachés,
un documentaire de Perrine Kervran réalisé par Véronique Samouiloff, 25 septembre 2012.

www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-vivre-en-clandestinite-24-2012-09-25

• Raymond Aubrac – entretien : Hommage à Raymond Aubrac suivi d’un débat sur la question du témoignage,
avec Laurent Douzou, 13 avril 2012 (rediffusion d’un grand entretien du 18/03/2011).

www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-histoireactualites-du-vendredi-130412-2012-04-13

• Histoire de la Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale 3/4 : débat sur le gouvernement polonais en exil pendant la Seconde Guerre mondiale avec Jean-Yves Potel, écrivain, universitaire spécialiste de l’Europe centrale, 8 février 2012.

www.franceculture.fr/emission-la-fabrique-de-l-histoire-histoire-de-la-pologne-pendant-la-seconde-guerre-mondiale-34-2012

Approches artistiques

Si c’est un homme, Primo Levi, éditions Pocket, 1988.

HHhH, Laurent Binet, éditions Grasset, 2010.

Les Juifs de Belleville, Benjamin Schlevin, éditions Nel, 1950.

L’écriture ou la vie, Jorge Semprun, éditions Gallimard, 1994.

Maus : un survivant raconte, Art Spiegelman, éditions Flammarion, 1987.

La fille de Mendel, Martin Lemelman, éditions çà et là, 2007.

Nous n’irons pas voir Auschwitz, Jérémie Dres, éditions Cambourakis, 2011.

Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB, Jacques Tardi, éditions Casterman, coll « Univers d’auteurs », 2012.

Artistes ayant inspiré les Faux Amis

Céline Duval : www.doc-cd.net Agnès Geoffray : www.agnesgeoffray.com

Félix Ledru : http://felixledru.com Stéphane Fugier : http://stephane.fugier.free.fr

Marylise Humbert : www.marylisehumbert.com Patrick Taberna : www.patricktaberna.com

Christian Boltanski : www.christian-boltanski.com

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Fiche 5

atelier d’éducation à l’image

Cadre général : lecture d’une photographie

OBJECTIFS

Rendre le jeune capable :

- d’exprimer les ressentis face à la stimulation visuelle d’une image photographique (perception/1re connotation) ;

- de conduire une description complète de la photo (dénotation) ;

- de mettre en relation les ressentis et les codes utilisés (interprétation/2e niveau de connotation) ;

- de confronter son interprétation à celle des autres (constat de la polysémie).

DÉMARCHE GÉNÉRALE

Si possible, projeter l’image. (Plus adaptée à une lecture « guidée » que la manipulation d’un document sur papier, la projection, permet à l’animateur de définir un temps d’observation/stimulation visuelle et un temps de réflexion.)

L’enseignant ou l’animateur procède par consignes successives.

Les consignes sont suivies individuellement par les jeunes qui notent leurs observations avant les différentes étapes de mise en commun et de débat.

ÉTAPES POSSIBLES DE LA SÉANCE

1) EXPRIMER LE RESSENTI

• Montrer l’image 15 secondes au groupe, sans consigne particulière sinon celle d’être attentif et silencieux.

• Demander aux enfants de noter par écrit :

« Une chose qu’ils ont retenue de la photo » ;

« L’impression qu’elle dégage ou le ressenti qu’ils en ont eu en la découvrant ».

Cette étape est importante ; elle permettra, dans la phase suivante, d’éviter l’effet de mimétisme avec ce qu’un enfant autre aura dit précédemment.

• Communication au groupe – mise en commun

Au tableau, classer les réponses dans deux colonnes (« Le ressenti » et « Description »).

Accepter toutes les réponses, sans commentaires ; ne pas engager le débat dans cette première étape.

2) DÉCRIRE LA PHOTO

• Montrer à nouveau la photo

• Vérifier si les éléments décrivant la photo (ceux que les jeunes avaient notés) sont bien tous présents dans celle-ci. Apporter les corrections dans le tableau si nécessaire, en faisant supprimer de cette liste ce qui ne figure pas sur la photo (ça peut arriver !).

• Compléter la colonne « Description » en ajoutant des éléments qui n’avaient pas été notés.

On pourra distinguer par des codes de couleurs :

- les éléments visuels non scripturaux (les visages, un sourire, un geste…),

- des éléments scripturaux (noter ce qu’on peut lire de loin, des textes qu’on ne distingue pas de loin…),

- les lumières, les contrastes,

- les lignes et masses,

- l’organisation dans le cadre (haut/bas, droite/gauche, direction des regards…).

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• Voir de loin/S’approcher

Demander aux jeunes si tous les éléments peuvent être décrits par une observation à distance. Noter dans la colonne « Description » les éléments qui nécessitent de se rapprocher de la photo (une partie des éléments scripturaux, parfois des images dans l’image…).

3) L’INTERPRÉTATION

• Faire justifier par chacun la signification qu’il a avancée (notée dans la colonne « Ressenti » du tableau) en citant un (ou des) élément(s) repérable(s) sur la photo.

Mettre en relation, terme à terme, dans le tableau, les éléments de la colonne « Ressenti » et ceux de la colonne « Description ». (« J’ai ressenti ceci à cause de tel élément particulier. » On peut aussi, à ce stade, demander « un développement imaginaire autour de la photo, à partir d’éléments qui nous parlent ».)

C’est le moment du débat dans le groupe, de la confrontation collective des diverses « réceptions » de la photo.

• Constater éventuellement la polysémie qui a pu apparaître lors de la première observation de la photo.

Mettre en évidence que si nous n’avons pas tous donné une interprétation identique c’est que nous avons privilégié, dans notre mémoire immédiate de la photo, un élément plutôt qu’un autre.

Constater aussi, si c’est le cas, qu’un élément est tellement fort qu’il entraîne une interprétation unanime.
C’est cet effet que, le plus souvent, les publicitaires recherchent.

Exemple à partir d’images de La Marche

OBJECTIFS

- Dégager les significations qui peuvent être données à une image par rapport aux éléments observables dans celle-ci.

- Montrer que le rapprochement d’images peut modifier le sens de l’image observée de façon isolée.

DÉMARCHE PROPOSÉE

Voir le cadre général d’une « Lecture d’une photographie » page précédente. Le travail avec le groupe commencera toujours par une expression individuelle du ressenti de chaque participant.

Photographie isolée/photographie dans le contexte du livre

La photographie seule

• Après avoir regardé la photographie pendant une quinzaine de secondes, dégager les impressions ressenties ; imaginer la situation (fuite devant un danger ; sans
papiers franchissant une frontière ; angoisse ; froid…).

• Noter également les détails qui sont signalés de mémoire mais qui sont de l’ordre de la dénotation. (Ex. : un homme pieds nus dans l’eau, les chaussures à la main ; il tient une valise ; il approche de la rive…).

• Revoir la photo collectivement pour préciser et regrouper les éléments visuels. (Cadrage : haut du corps du personnage coupé ; reflet « mouvant » dans l’eau plus important que le corps lui-même. Accessoires : chaussures suspendues par leurs lacets à une main qui est hors-champ ; vêtements d’aujourd’hui, valise plus ancienne. Décor : branches nues enchevêtrées au premier plan. Couleurs : très atténuées, « dé-saturées ».)

Deuxième niveau de connotation. Mettre en relation les éléments repérés sur la photo et les ressentis exprimés. Envisager un développement imaginaire autour de cette photo.

Extrait de La Marche.


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• Observer le dessin réalisé par les auteurs avant la prise de vue et chercher la fonction de ce croquis.
(C’est une sorte de story-board du plan ; il y a eu mise en scène, avec un comédien.)

• Noter les différences entre le dessin et la photo réalisée. (L’impact de celle-ci est renforcé par le cadrage, le reflet dans l’eau…)

La photographie dans le contexte du livre

• Montrer et faire décrire les deux doubles pages qui précèdent cette photographie, pages 10-11 (Un homme de dos tenant une lettre ; mention : Paris 2003) et pages 12-13 (Des mains d’homme manipulent un vieux carnet dans la pénombre ; sur la
page de droite, on devine le nombre 1943).

• Lire le texte de la page qui suit la photo (page 16).

• Proposer d’autres significations possibles de cette photographie dans le cadre d’un récit fictionnel. (Personnage imaginé par le lecteur du carnet, à partir des phrases lues et de ses référents : souvenirs personnels, images d’actualité… ; nos propres
référents peuvent aussi différer d’un lecteur du livre à l’autre et donner d’autres significations aux photos.)

Photographies mises en scène et images d’archives

La photographie seule

• Après avoir regardé la photographie pendant une quinzaine de secondes, dégager les impressions ressenties (abandon ; disparition des êtres humains ; fuite devant un danger…).

• Noter, de mémoire, des détails de cette photographie qui ont été remarqués (Ex. : chaussures sur le bord de la route…).

• Revoir la photo collectivement pour préciser les éléments visuels et compléter la connotation (les chaussures et une sacoche abandonnées sont l’indice d’un abandon ; la route disparaît dans un horizon caché par le bord supérieur de l’image ; le hors-champ, tout ce que la photo ne montre pas évoque fortement l’absence…).

• Envisager par écrit un développement imaginaire autour de cette photo. Comparer les récits.

Dialogue avec une photo d’archives

• Montrer la photo d’archives n° 28 (recadrée) qui accompagne dans le livre la photo étudiée ci-contre.

• Noter les différences et les ressemblances dans les éléments observés.
(La photographie est en noir et blanc, c’est une image d’archives ; les casques comme les chaussures appartenaient à des hommes dont la disparition est suggérée ; l’amoncellement évoque un plus grand nombre de personnes ; l’ampleur de l’absence des êtres est renforcée par la quantité d’objets abandonnés…)

• Comparaison avec la photo d’archive n° 28 dans son intégralité. Noter les différences et les impressions ressenties face à chacune. (La photo du livre a été recadrée par les Faux Amis ; élimination du premier plan qui donnait plus de distance et plus de neutralité ; les photographes se réapproprient l’image d’archives en la rendant plus poignante et la mettent en connivence avec la photograhie « mise en scène » présentée à gauche.)

« Croquis pour la prise de vue. »

Diptyque extrait de La Marche.

ressources


Exemple d’images animées à partir de La Marche :« Quelques lettres et des photos »

Découpage séquentiel : des repères pour décrypter la construction du film.

(03.42)

(01.50)

(00.00)


(05.21)

(05.01)

(06.07)


(07.48)

(09.54)

10.31)


(12.15)

(13.11)

(13.58)


(14.37)


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OBJECTIFS

- Définir le sens général du film et le rôle du narrateur.

- Retrouver et analyser les éléments cinématographiques utilisés pour renforcer le texte du narrateur.

MÉTHODE GÉNÉRALE PROPOSÉE

La première étape consiste à voir le film dans sa totalité, si possible sur grand écran dans une salle spécialisée, (vidéoprojection). Une présentation est souhaitable : elle doit aiguiser la curiosité du spectateur sans privilégier un sens particulier.

Après avoir vu le film, le travail peut se décomposer en quatre phases :

• Expression spontanée à partir de ce que les personnes ont perçu et ressenti : on peut demander d’écrire quelques mots, sur « ce que vous avez envie d’exprimer, ce que vous ressentez à propos du film, ou de tel ou tel moment de celui-ci ». C’est une aide à la mémorisation, avant une remémoration collective, qui permet d’éviter l’effet de mimétisme.

• Communication au groupe :

- Chaque participant lit ce qu’il a écrit.

- L’animateur note sommairement, au tableau, les significations avancées, les ressentis exprimés.

• Confrontation collective de ces diverses réceptions. C’est le moment du débat dans le groupe, qui conduit à des remarques sur les zones d’accord, les différences ou oppositions, et à la nécessité de justifier les affirmations et les significations avancées par des éléments du film (vus ou entendus.)

• Utilisation de la fiche pédagogique et d’extraits du film. Elle se fera selon les demandes qui sont apparues dans la phase de confrontation. Elle servira à découvrir les procédés d’expression cinématographique liés aux significations avancées, aux ressentis exprimés (études plus détaillées de séquences).
On doit parvenir ainsi à un ensemble plus fouillé et plus ample de la perception du film, sans nécessairement s’accorder sur une signification unique. Il peut persister plusieurs analyses, dès lors que chacune est cohérente avec le « vu/entendu ».

LES ÉTAPES POSSIBLES DU TRAVAIL

1) LA CONSTRUCTION DU FILM

• Remémoration. Retrouver comment les réalisateurs ont construit leur film. (Chronologie de la vie d’une famille polonaise réfugiée en France, de la fin des années 20 à 1945 : le départ de Varsovie ; la vie en France avant la guerre ; la dispersion de la famille et le cheminement parallèle de chacun des membres pendant la guerre ; l’après-guerre.)

• Dégager les impressions ressenties. (Les angoisses du quotidien ; l’engagement personnel au service d’une cause ; les prises de risques ; une histoire racontée à partir de quelques traces retrouvées et de souvenirs personnels du narrateur ; les images anciennes s’éveillent et s’animent…)

• Décrire le décor de ce récit. (Un simple bureau se transforme en paysage changeant et devient la scène de ce destin familial.)

• Répertorier les moyens utilisés pour faire vivre l’histoire aux spectateurs. (Un album ouvert dans la première séquence puis refermé dans la dernière ; l’image d’archive – en 2 dimensions – de la photo de famille s’anime et les personnages s’en détachent ; la voix off raconte les souvenirs d’Emile Jaraud ; les objets sur le bureau construisent différents décors en fonction des scènes où évoluent les personnages ; le montage alterné permet de suivre des actions qui se déroulent dans différents lieux…)

2) NOUS FAIRE VIVRE UN ENGAGEMENT

• Revoir deux séquences se rapportant à Denis/David. (De 5mn21s à 6mn07s et de 7mn48s à 9mn54s – chacune de ces séquences commence et se termine par un fondu au noir.)

• Dégager l’impression ressentie dans la séquence de la première arrestation de Denis. (L’engagement précoce de Denis ; la contestation n’est pas majoritaire dans la ville ; le sacrifice de Denis pour sauver les autres…)

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• Répertorier les moyens cinématographiques. (Photo de Denis détachée du groupe familial par une technique d’animation image par image ; fondu enchaîné pour le joindre à une photo de quelques manifestants ; caméra en plongée ; bureau vide autour des personnages ; ruban noir symbolisant la police autour de la photo de Denis qui disparaît par la gauche…)

• Dégager les impressions ressenties dans la séquence de Denis pendant la Résistance. (Une action montrée avec tous ses dangers, mais comme naturelle, allant de soi ; oppression de l’ennemi ; isolement ; Denis chef de FTP MOI, présenté dans un rôle très positif, voire exemplaire…)

• Répertorier les moyens cinématographiques utilisés dans cette partie ; les comparer à ceux utilisés précédemment. (Au début de la séquence, une boîte d’allumettes ajoutée aux objets du bureau ; la voix off raconte la scène de façon neutre, sans faire preuve d’empathie ; allumette verticale enflammée ; papier brûlé et bruit d’explosion ; bureau vide avec photos de maquis en arrière-plan ; silhouettes rouges des résistants espagnols ; rond de lumière vive ; bruits de bottes ; bâtons noirs autour du groupe ; bruits de balles et silhouettes qui tombent ; Denis isolé dans le rond lumineux qui
se déplace comme une poursuite de théâtre ; travelling latéral pour accompagner Denis, encadré par les bâtons noirs, qui sort de l’écran par la gauche ; la photo de Denis disparaît sous de l’encre noire…)

• Mettre en relation les ressentis exprimés dans le premier échange et les moyens cinématographiques utilisés, pour préciser et/ou comprendre l’interprétation faite.

3) PROLONGEMENT POSSIBLE

Imaginer le rôle et le caractère qu’on pourrait donner à des objets fabriqués (comme ici le rouleau de ruban adhésif ou la paire de jumelles) ou à des éléments naturels (ici le feu). Représenter ces objets en mouvement. Essayer de lier leur fonction première et leur rôle évoqué.


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Fiche 6

Making off de la vidéo « Quelques lettres et des photos »

(Durée 15’23), stop motion.
Musique originale : Dan Matz.
Avec la voix de Raphaël Balluet.

Sur un bureau, quelques archives et une photographie de la famille Jarowslav. Celle-ci s’anime, la famille rejoue son histoire, avant et pendant la guerre. Les objets du quotidien deviennent décors et participent au récit. Une fois de plus, l’animation en stop motion nous a donné la possibilité de transformer un simple bureau en paysage changeant, scène de ce destin familial. La famille d’Émile Jaraud (membre de l’UEVACJ-EA), famille de juifs originaires de Pologne installés en France, a eu un destin exceptionnel et exemplaire. Chacun de ses membres s’est vu impliqué
dans la Seconde Guerre mondiale à un niveau différent (père, mère et soeur déportés/un frère dans la Légion étrangère puis aux côtés des Alliés/un frère engagé volontaire, emprisonné en Stalag/un frère résistant, déporté et ayant survécu/Émile et sa soeur enfants cachés).

Après avoir écouté Émile nous raconter son histoire, il nous a fallu la réécrire, afin que les éléments s’enchaînent de manière fluide et chronologique. Ensuite nous avons réfléchi à la manière de mettre en image cette histoire. Pour figurer les personnages, nous tenions à partir des photographies réelles de la famille Jaraud. Grâce à un logiciel spécifique nous avons pu reconstituer certains personnages en pied et construire des éléments du décor (comme la vitrine de la boutique).

Photo d’archives de la famille Jaraud.

Personnages réalisés à partir de la photo.

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Nous voulions que l’image d’archives (en 2 dimensions) s’éveille et s’anime, comme tous les éléments du bureau qui ont été amenés à jouer un rôle dans l’histoire. Nous avons préparé le tournage en rassemblant tous les objets nécessaires, et en dessinant le story-board.

Nous avons ensuite passé un mois enfermé dans le noir devant ce bureau, à bouger nos figurines et nos objets, millimètre par millimètre. La plupart des scènes ont été tournées en stop motion, mais certains rares passages sont en vidéo (par exemple, quand les bougies du chandelier s’éteignent).

En parallèle, nous avons travaillé avec Dan Matz, musicien, pour qu’il écrive une musique originale, qui parfois est plus proche du son que de la mélodie, d’après les scènes tournées.

Puis est venu le temps du montage, et de l’ajustement des images tournées, du texte enregistré (avec Raphaël Balluet), et de la musique.

Pendant que nous faisions le film, Émile nous a montré une vidéo tournée en 1938 juste avant la guerre, sur laquelle on reconnaît toute sa famille. De courts extraits sont montrés à la fin de « Quelques lettres et des photos », rappelant l’existence réelle de cette famille parmi tant d’autres, ayant traversé la guerre. In memoriam.


Extrait du story-board illustré par les images réalisées pour le film.

Fiche 7

éléments d’analyse

La Marche, un récit de fiction

La commande initiale passée aux Faux Amis était de réaliser un récit de fiction mêlant textes et images. Photographes de formation, ils ont fait le choix de mettre en fiction ces faits historiques par l’image. Cependant, l’écrit est présent à travers la correspondance (le carnet et les lettres) et les artistes ont eu recours à des procédés littéraires pour élaborer leur récit.

La Marche est un récit à construire par le lecteur : rien ne va de soi, tout est évocation. Cette oeuvre place le lecteur dans une position active où il est amené à reconstruire le récit à partir d’indices et d’une narration en filigrane.

« Notre parti pris d’un livre photographique dans lequel l’image et le texte se complètent sans que l’un soit l’illustration de l’autre nous conduisait à un mode de narration lacunaire. En effet, impossible de retranscrire la complexité de cette histoire en images. D’autre part, pour que le texte fasse lui aussi image et ne soit pas purement informatif, ou légende, il fallait le dégager d’une quelconque obligation explicative.

La forme choisie est proche du roman épistolaire. En effet, même si le carnet d’Henri ne répond pas vraiment aux lettres d’Hélène, on suppose une interaction des deux (du moins du côté d’Henri).

Les dates, les lieux mentionnés permettent au lecteur de reconstituer le récit. On peut ainsi sauter des périodes entières sans perdre le fil de l’histoire. Une lecture attentive relèvera les sous-entendus, comprendra les ellipses.

Le lecteur s’identifie au personnage qui introduit le livre : confronté à des archives éparses (carnet, lettres, images d’archives), il s’imagine une histoire depuis son présent. Cela explique que nous n’ayons pas essayé de reconstituer l’époque dans nos photographies. En effet, les images couleurs peuvent se comprendre comme une projection du lecteur (qu’il soit celui du livre ou celui dans le livre), par conséquence incomplète, inexacte. »

Les Faux Amis

DES PROCÉDÉS D’ÉCRITURE AU SERVICE DE LA NARRATION

Le récit est structuré par un procédé littéraire classique : le flash-back (ou analepse). La présence d’un personnage dans un contexte contemporain encadre le récit (première et dernière pages du livre).
On ignore qui il est et le lien avec les personnages d’Hélène et d’Henri. Sa fonction est d’établir une passerelle entre le passé et le présent, en nous rappelant que cette histoire évoquée aurait pu être celle de nos grands parents et n’est pas si lointaine. Par ailleurs, ce procédé donne au récit d’emblée une dimension intime car on accède, à travers le carnet, à une version « secrète » de cette histoire.
Enfin par ce lien, que l’on peut supposer familial, entre le premier personnage et Henri, on bascule d’emblée dans le registre de l’émotion : le parti pris des Faux Amis est posé dès la première page.

À l’intérieur de ce cadre, le récit se déroule chronologiquement. Cependant, il est ponctué d’ellipses temporelles comme autant d’espaces laissés au lecteur pour imaginer et aux porteurs de cette mémoire d’y glisser leurs propres souvenirs. Si la phase d’engagement volontaire dans l’armée est racontée avec précision ainsi que la période d’enfermement au stalag, l’entrée dans la Résistance
et l’émigration sont des périodes de la vie d’Henri juste évoquées. Mais le silence principal porte sur l’issue de cette relation amoureuse au sortir de la guerre. En effet, le récit s’arrête sur une image d’archive de la Libération. Cela crée une tension dramatique importante dans le récit.

La richesse de la narration repose aussi sur le point de vue croisé des deux narrateurs que sont Hélène et Henri. Ce choix des artistes place le lecteur dans une position omnisciente : il suit à la fois ce qui se passe pour ceux qui sont restés en France et pour ceux qui sont partis. La fiction ici permet d’avoir une approche historique assez globale de ce que signifiait l’engagement volontaire. En effet,
on sait qu’en réalité à l’époque il était difficile de se tenir au courant de ce que chacun vivait. Le flash

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back donne, lui, une dimension plus authentique au récit : de fait, les parcours personnels de gens ayant vécu la guerre sont restés longtemps tus (même au sein des familles) et il aura fallu de longues années (ici presque soixante ans) pour que l’on découvre les détails de ce que chacun a vécu dans cette période trouble.

Le recours à la correspondance permet aux artistes à la fois d’accéder aux pensées des personnages mais aussi d’apporter des éléments de description et de narration qui contribuent à faire avancer le récit. Cette correspondance elle-même est fiction : Henri aurait dû écrire en yiddish, Hélène ne savait pas où adresser ses lettres… Elle permet de traiter la relation entre les deux personnages et surtout d’accéder à leur intériorité. Les lettres et le carnet ne sont que la matérialisation des voix intérieures
des personnages.

Le carnet et les lettres

Le sous-titre du livre, Ta lettre a dû croiser la mienne, nous signale dès la couverture l’entrecroisement de deux correspondances.

L’échange a lieu entre les deux personnages principaux, sous deux formes différentes : elle, les lettres ; lui, le journal.

La lettre manuscrite nous livre peu à peu des informations sur le personnage féminin. On ne connaîtra d’ailleurs son nom que grâce à l’une d’entre elle, signée « Ton Hélène ». On y apprend qu’elle est une jeune juive parisienne, sans doute d’une famille aisée. Qu’elle est pleine d’énergie. Qu’elle est romantique, sentimentale, parfois presque naïve. Que ses parents n’acceptent pas Henri, car il est étranger, et que ce refus la décide à quitter le foyer familial pour s’installer avec lui. Elle est très déterminée,
courageuse, très forte. Elle est très positive dans ses lettres, même si la vie est dure, son ton reste joyeux et confiant presque jusqu’au bout.

Elle s’adresse à lui à la deuxième personne du singulier.

Le carnet nous livre des ténus fragments du journal d’Henri. Quelques pages pour une dizaine d’années de vie… S’adressant à lui-même, il évoque ses failles, ses doutes, ses moments de désespérance.


Vers la fin, lorsque l’absence d’Hélène est insoutenable, il s’adresse alors à elle directement, passant à son égard de la troisième personne du singulier à la deuxième.

Le carnet autorise des phrases qui parfois ne sont pas entièrement rédigées, des énumérations, mais aussi des confidences qu’on ne se fait qu’à soi-même.

Le carnet, comme les lettres, nous plongent dans leur intimité, leur quotidien.

Le choix des deux supports différents rythme le récit, le structure, particulièrement les doubles-pages du carnet. Les lettres, elles, quand elles sont écrites sur des petits fragments de papier, se mêlent plus intimement aux photographies.

Chacun donne des bribes du récit, parfois se recoupant, parfois se déplaçant. C’est au lecteur, sur les pas du fils, de tresser ces fragments d’informations, de leurs manques, leurs blancs.

La Marche est un livre photographique, non un roman illustré.

La subtilité réside dans la recherche d’un équilibre entre la quantité d’images et de textes. Avoir suffisamment de textes pour amener des informations historiques et articuler les images en un récit, mais pas plus. Laisser, ici aussi, les choses suffisamment flotter, suffisamment ouvertes. Ne faire qu’esquisser, pour que cette histoire fictive, puisse, potentiellement, contenir toutes les histoires réelles qui l’ont inspiré. Ne pas trop remplir, au contraire, enlever, « réserver ». Entre les lignes,
bruissent les virtualités.

La particularité du texte ici est qu’il est lui-même image.

Le support est visible, et revêt autant d’importance que les mots. Le papier des lettres, plié, parfois découpé, le carnet, objet abîmé, jauni, sa couverture s’effilochant, apporte une intimité, une matière, une chair à l’écriture.

Il s’instaure alors, ici aussi, un jeu entre la réalité et la fiction puisque le texte est faux mais semble réel, sa forme le rapprochant du document historique.

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LE RÉCIT PAR L’IMAGE

Le récit est aussi porté par l’image. On constate, par exemple, qu’il est structuré et rythmé par des images en double-page qui marquent de façon symbolique le passage d’une période à une autre dans la vie des personnages :

• L’image de l’arbre déraciné marque la transition de l’émigration à l’installation en France.

• L’image de la chambre à coucher évoque le début de la guerre et introduit la période de l’engagement d’Henri.

• L’image des linceuls déposés dans un paysage hivernal introduit la période de la débâcle, de l’emprisonnement d’Henri et de l’engagement d’Hélène.

• L’image du personnage en pleine course dans la pénombre marque la fuite du camp de prisonniers et l’entrée dans la Résistance d’Henri.

À l’intérieur même du récit, les compositions, en mettant en relation des images, participent à la narration. Le recours fréquent aux triptyques alliant images d’archives et images contemporaines de formats différents, en est un élément important. À titre d’exemple le premier triptyque composé comme suit :

• Un portrait en pleine page d’un jeune homme derrière une vitre à travers laquelle il montre une photo ancienne d’une femme.

• Deux photos de petits formats juxtaposées : une image d’archives d’un regroupement de personnes derrière une table drapée d’une banderole portant des inscriptions en yiddish et devant une maison surmontée d’une étoile ; une prise de vue contemporaine d’un jeune homme nu-pieds, la valise et les chaussures à la main avançant dans une flaque d’eau.

La circulation du regard entre ces trois images permet de rapprocher des indices pour inventer une histoire. Peut être ici celle du départ, du voyage puis de l’exil d’un jeune homme juif.

Enfin des images isolées peuvent en elles-mêmes avoir une fonction narrative en ce sens qu’elle raconte une partie de l’histoire, un événement dans l’histoire… Ce type de photos fait appel à l’imagination du lecteur voire à ses représentations des faits historiques. Elles permettent aussi de donner des microdétails sur la réalité de cette époque. À titre d’exemple, reprenons la photographie, prise de vue contemporaine, intégrée dans un triptyque évoquant la débâcle.

Il s’agit d’une représentation d’une route goudronnée bordée d’un talus où gisent un sac, quelques affaires et des paires de godillots… La ligne de fuite vers l’infini, sortant du cadre donne l’impression que ces objets ont été laissés ici après le passage d’un véhicule. La chaussure renversée, le sac à même le sol mouillé donne à croire que cela s’est fait dans la précipitation. La nature des chaussures et des affaires nous indique qu’elles appartenaient à des soldats. On peut s’imaginer que ces objets
au bord de cette route sont la trace d’une arrestation de soldats par l’armée allemande ; on peut les imaginer marchant sur le bord de la route et être embarqués dans l’urgence, laissant derrière des indices de cette arrestation brutale.

De manière générale, on peut dire que si les images portent aussi le récit, elles laissent une place pour l’interprétation importante, invitant le lecteur à y revenir pour découvrir des détails, des précisions dans le scénario. En ce sens, bien que le récit soit linéaire chronologiquement, La Marche ne se limite pas à une lecture unidirectionnelle.

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La Marche, une histoire incarnée

Au coeur de leur démarche de transmission de la mémoire de l’UEVACJ-EA, les Faux Amis ont placé leur intérêt et leur goût pour l’image d’archives. Et comme dans l’ensemble de leur travail, ils se sont attelés à redonner vie à des images pour rendre vivante cette mémoire en sommeil. Il s’agissait même, selon Hortense Vinet, de « donner chair aux individus pris dans cette histoire collective ». Cette intention
se traduit de différentes manières à travers l’oeuvre.

Face au matériau qu’est l’image d’archives, le collectif a multiplié les partis pris pour servir leur projet artistique :

• Préférer les images d’archives familiales à celles plus officielles de cette période et parfois même conserver les traces de leur appropriation (inscription manuscrite par exemple). Mais aussi se décaler des images mentales que trop d’images d’archives ont nourries, en choisissant des prises de vues spontanées des soldats au camp de Barcarès (lors d’un repas ou bien entre amis devant un baraquement).

• Travailler sur le cadrage pour détourner encore une fois les codes des photos posées en décentrant les sujets. Exemples : la famille devant la maison de retraite en Pologne ; la scène devant la société de secours mutuel à Belleville ; les jeunes du maquis en Dordogne (images d’archives 4, 10 et 37). En contrepoint, on notera la photo des Faux Amis qui joue avec les codes de la photo posée : l’image du couple (sans doute dans une cour d’école) posant dans une zone de pénombre et dont l’ombre
des corps se projette sur le sol.

• Sans doute ce qui contribue le plus à rendre vivante ces images d’archives tient dans l’objet même de ces images : des scènes de vie quotidienne, des situations ordinaires : regroupement en terrasse devant un bar juif de Belleville ; rassemblement de grévistes devant une usine, embrassades et adieux au départ du train des soldats ; moment de vaisselle dans un camp de prisonniers ; femmes réunies autour d’une activité de couture…

À ces images d’archives font écho toutes les créations contemporaines des Faux Amis qui mettent en scène des personnages dans des instants du quotidien. Comme pour rappeler que la vie, dans ce qu’elle a de plus ordinaire et trivial, continue même en temps de guerre même dans des lieux d’enfermement. Ainsi, on assiste à la lecture du courrier, au repos, à la pause cigarette, au déjeuner, au travail de la terre, à la préparation des légumes, aux temps d’inactivité et de bavardage… Par ailleurs, un détail récurrent rappelle cette vie ordinaire, celui de la présence de l’animal domestique aux côtés de son maître.

Les photographies de mises en scène

Trois personnages de dos, un personnage nous regardant. Cette photographie jouxtant une image d’archives de soldats accroupis armes à la main, nous imaginons que ces personnages en couleurs sont aussi des soldats. Le fait que les ombres des branchages évoquent formellement les barbelés de l’image en noir et blanc semble nous le confirmer.

Un jeu de répétitions de fumées, peut-être des explosions.

Sinon, des scènes du quotidien au camp de Barcarès, la scène contemporaine où l’on voit quatre personnages assis avec des gamelles rejouant l’image en noir et blanc à sa gauche, avec le paradoxe, qui n’est qu’apparent, que les images d’archives sonnent plus posées, plus artificielles, moins naturelles que les photographies réalisées avec des acteurs.

Ce même jeu entre photographies aux allures officielles et d’autres semblants être des instants plus intimes existe dans la galerie de portraits. On se prend à chercher les ressemblances, les connivences.

L’inscription « 1940 », émouvante, les trajectoires des regards, les soldats « réels » nous regardant presque tous, les « fictifs » baissant les yeux, les battements croisés des tonalités ; la place de cette double-page, située après une image du carnet où Henri évoque ces camarades ayant trouvé la mort, et avant la photographie d’un terrain vague parsemé de quatre draps blancs abandonnés au milieu des arbustes à épines…

La mort, la vulnérabilité de toutes choses, transparaissent dans les blancs de la narration, trous de ressources mémoire, comme choses qu’on sait mais qu’on ne figure pas.

Elles y sont murmurées.

Les êtres et les choses semblent d’ailleurs vulnérables dès le début de l’histoire. Des végétaux à terre, les torses nus d’hommes lors d’une probable visite médicale avant l’enrôlement… Les images baignent dans une tristesse diffuse, dû à leur désaturation, à la lumière souvent douce et froide.

Au fil des pages, s’égrainent des traces, comme des indices d’une disparition. Mais de quelle ampleur ?

En bord de route, ou au milieu de terrains vagues, chaussures, tissus, corps abandonnés, arbres déracinés, tas de feuilles, draps, cagette ou cabane, veste. Papiers d’identité brûlés.

La Marche est travaillée par la disparition, par l’absence jusque dans sa fibre.

Dans ce que montrent les images comme dans ce qu’elles ne montrent pas.

Les photographies contemporaines sont plus suggestives que descriptives. L’attention portée à quelques détails qui permettent de brosser en quelques traits une ambiance ou une période historique.


Ainsi, l’ambiance des camps de travail est rendue en trois images réunies en une double-page : à gauche, deux hommes en extérieur, bêchant. À droite, un tas d’oignons et de navets jouxtant un homme de dos à côté d’un tas de planches en bois contre un mur gris.

Ou encore, le maquis est évoqué en trois images, réunies sur une même double-page : à gauche, un homme dans la pénombre, peut être Henri, dans une cave, manipulant des bidons. À droite, une image d’archives de jeunes hommes dans le maquis de Dordogne (image 37), jouxtant une planche armée de clous posée sur la route, en attente de pneus à saboter.

La distance spatiale et émotive des Faux Amis varie, mais est toujours proche, parfois très proche, ce qui facilite l’identification et l’émotion du spectateur.

Un autre motif important dans les images contribue à donner vie à cette mémoire, celui du corps. Omniprésent en filigrane à travers toute l’oeuvre il est montré, suggéré, dévoilé ou symbolisé. Il fait irruption dès le début du récit avec les mains qui feuillettent le carnet. Ces mains vieillissantes auxquelles, la page suivante, la main du jeune homme posée contre la vitre fait immédiatement écho.
On retrouve cette main, comme lien entre deux générations dans la scène d’adieux où le soldat en partance embrasse un enfant. Le corps est aussi montré de façon explicite à travers le thème de la nudité :

• l’image des pieds déchaussés dans l’eau dans la scène de fuite ;

• l’image d’archives d’une scène de baignade où jeunes hommes et jeunes filles posent en maillots de bains ;

• les trois jeunes engagés posant torse nu (peut être en référence à une visite médicale ?).

Tous ces éléments dans le livre renvoient au film entier (34-44) consacré aux mutations du corps dans la guerre, l’engagement, la résistance. Ces signes de nudité interpellent à double titre : on garde le souvenir d’images très habillées et posées de cette période ; on imagine ces corps emmitouflés en raison de la saison et des conditions de vie de cette période. Par ailleurs, le corps est suggéré à travers
des indices de sa présence-absence. Ce procédé est poussé à l’extrême dans la mise en scène du paysage désolé, où les linceuls symbolisent les corps. Mais on le retrouve par touche tout au long de l’oeuvre. Ainsi la chemise blanche sur le cintre, déboutonnée et froissée laisse imaginer qu’elle vient d’être portée. De même la veste kaki abandonnée sur le monticule de branchages, renvoie au corps qu’elle a habillé. Le vêtement joue à plusieurs reprises le rôle d’indice de l’absence du corps.

Enfin, le corps est signifié de façon indirecte à travers les postures des personnes dans les mises en scène. Il ne s’agit pas du corps droit et maintenu des postures des soldats ou bien simplement pour les photos posées. Au détour d’une image on décèle un corps relâché, décontracté. Et même à trois reprises est représenté un corps endormi, recroquevillé, emmitouflé, à l’étroit dans un espace réduit. 

Autant d’éléments qui suggèrent le ressenti par le corps et qui insufflent une forme de vie dans ces images.

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Fiche 8

pour aller plus loin

Images d’archives et création artistique contemporaine

Si l’appropriation d’images déjà existantes a une longue histoire dans l’art moderne et contemporain, elle est aujourd’hui au coeur des pratiques de tout un chacun. De nombreux artistes réfléchissent à cette propension à la collection d’images existantes, et conçoivent des projets, ou des cadres expérimentaux pour lui donner du sens. Ceux dont nous parlerons ici travaillent notre mémoire collective,
par le biais de stratégies très diverses, mais ayant un point commun : elles fonctionnent autour de la collection d’archives, figurales ou scripturales, accumulées puis re-disposées, classées dans une forme qui les rend préhensibles, opératoires. Prendre, s’approprier, puis organiser pour rendre visible et lisible.

Christian Boltanski

L’oeuvre, incontournable, de Christian Boltanski (né en 1944) construit une tension entre le monumental et le dérisoire, le tragique et l’humour et l’aléatoire. Elle est une accumulation de petites choses fragiles ayant vocation à construire des monuments à la mémoire des disparus, mais des monuments eux-mêmes fragiles et vulnérables, eux-mêmes voués à disparaître.

Accumulations de petits tirages, accumulations de visages, de boîtes, de petites lampes fonctionnant comme des bougies, de tas de vêtements… Accumulations qui donnent lieu parfois à des installations monumentales.

Boltanski soulève notamment dans son travail la question des grands nombres. Des milliers de Suisses morts, soixante mille battements de coeurs, quatre cent mille vêtements à No Man’s Land, à New York… Si l’artiste dit ne pas parler exclusivement de la Shoah dans ses oeuvres, il affirme néanmoins que la question qui l’obsède est celle des nombres ; ces nombres tellement élevés qu’on ne sait comment les concevoir. Ces nombres qui donnent le vertige.

« J’ai beaucoup essayé de garder ce que j’appelle dans mon travail “la petite mémoire”, de sauver de l’oubli qui arrive tellement rapidement. Je veux conserver les battements de coeurs comme j’ai conservé des milliers et des milliers de photos d’anonymes, comme j’ai conservé des vêtements qui ont été usagés, comme j’ai fait des dizaines de livres où il y a seulement des mots de vivants, par exemple des noms. Là, il y a une autre manière de lutter contre l’oubli. »

La mémoire est un des fils conducteur de l’oeuvre de Christian Boltanksi, tout comme l’est l’identité. L’identité, qui, dans un même mouvement, est à la fois individuelle et collective. L’individu se dissout mais aussi se construit dans le collectif.

D’où son traitement des visages par exemple, découpés parfois de manière volontairement imprécise, reproduite sur des papiers ordinaires et fragiles, sans grande définition, peu lisibles… Des visages souvent granuleux, flous, comme sur le point de se défaire…

D’où ses accumulations de photographies de famille, la sienne comme de familles anonymes, réécrivant des itinéraires, fabriquant des souvenirs… Si l’identité n’est pas totalement interchangeable, elle est, pour Christian Boltanski, en tout cas partageable, et construite, écrite, réécrite, tendant d’avantage vers la contingence que vers l’objectivité… Une partition à jouer et rejouer.

De la même manière, Christian Boltanski donne à voir ses propres oeuvres de manières différentes, variant selon les lieux, pour une même oeuvre, le mode d’accrochage, le nombre de photographies, de boîtes, de lumières… À chaque fois, une disposition est choisie mais elle porte en elle la possibilité d’autres combinaisons, elle indique d’autres montages potentiels, qui seront activés, ou non, lors
d’une exposition suivante…

Christian Marclay

« White Noise », de Christian Marclay (né en 1955) soustrait à la vue des images pour rendre visible un phénomène d’occultation, mais nous donne également à voir un souffle commun. On y retrouve cette accumulation colossale de photographies d’amateurs, ici achetées aux puces de Berlin et épinglées sur leur revers, du sol au plafond sur les murs du Musée des Beaux-arts de Berne.

Juxtaposition proliférante de petits rectangles blancs, plus ou moins jaunis ou déformés par le temps, parfois annotés à la main par leurs premiers propriétaires, consignant tel mariage, tel lieu de vacances, tel diplôme, indice de bribes de vies particulières et pourtant communes à tous… Nul besoin de lesvoir pour les imaginer. Cette mise « en latence », au contraire, ouvre au collectif, non pas au même
ou à l’identique, mais au commun.

« Si vous regardez réellement ces photographies, vous ne pouvez que faire l’expérience de leur banalité », explique Marclay. « Nous avons tous les mêmes photographies chez nous […]. Plus je les regardais, plus elles devenaient anecdotiques. Aussi, retournées, elles restent des photographies – que tout le monde reconnaît en tant que telles – mais perdent leur qualité subjective. »

Est-ce qu’un artiste exprime la voix d’un « Je » ou d’un « Nous » ?

Ici, une écriture chorale se met en place, et les souvenirs d’inconnus se mêlent aux nôtres, et notre mémoire vient activer cette mémoire suspendue.

Le White Noise, « bruit blanc » évoque un son composé de toutes les fréquences, comme la lumière blanche est un mélange de couleurs. Le bruit blanc donne l’impression d’un souffle. Souffle, bruissement discret et puissant d’une mémoire de l’Allemagne, évoquée à demi-mots. Celle d’une mémoire mise au rebut par cartons entiers après la chute du mur, comme pour s’en défaire.

Jean-Yves Jouannais

Depuis septembre 2008, les sous-sols du Centre Pompidou accueillent un événement étrange. L’Encyclopédie des guerres, de Jean-Yves Jouannais (né en 1964) s’énonce sous la forme de conférences-performances inclassables, expériences étranges de compilation de fragments de toutes natures, carnets de guerres, traités militaires, oeuvres littéraires, oeuvres plastiques, documents photographiques…
Cette tentative de classement, qui se dit vouée à l’échec et qui pourtant fascine, dit
quelque chose de primordial, sans que personne ne semble en mesure de déterminer quoi.

Jean-Yves Jouannais, s’assoit à une table, sur une scène, et partage des fragments divers, qui ont comme socle commun de toucher, de près ou de loin, à la guerre.

Ces fragments sont classés afin de constituer une Encyclopédie, selon des entrées alphabétiques. Mais cette classification est sans cesse retravaillée, repensée, d’autant plus que l’Encyclopédie ne cesse de s’écrire, proliférant plus vite qu’elle ne peut se lire, chaque nouveau fragment remettant en jeu ceux qui y étaient déjà consignés.

On croisera ainsi Tite Live comme des poèmes de Borges autour des épées mythiques ou Lawrence d’Arabie. Un film d’archives montrant la libération de Marseille ou la lettre d’adieu d’un commandant à sa femme avant d’être injustement exécuté pour l’exemple ou la photographie d’une « explosion au repos d’un obus ». Ou encore un extrait de film des Monthy Python ou une photographie d’une bombe en bois larguée en 1944 sur un faux terrain d’aviation en Normandie…

Jean-Yves Jouannais s’évertue à déployer une érudition vertigineuse tout en ne cessant d’affirmer son ignorance. Chaque séance débute par un retour en arrière, un mea culpa pour un oubli ou une tentative qui ne s’est pas révélée suffisamment fructueuse, un remord ou une justification pour une maladresse. Un fragment vient se rajouter à l’entrée « Abeille », ou à l’entrée « Charge » ou à l’entrée « Boum » ou encore celle de « Reluire »…

Séance après séance, quelque chose se constitue sous nos yeux, mais malgré les nombreuses réflexions pour clarifier cette aventure intellectuelle, ce qui advient reste indéfinissable, si ce n’est que nous voyons de la pensée en train de se faire, des stratégies de montages et de collages en train de s’analyser… Certains parlent d’une nouvelle forme de littérature… Jean-Yves Jouannais performe ses fragments en les faisant se déplacer entre eux, tressant des récits historiques de bataille, La Grande
Vadrouille avec son autobiographie…

Le sujet est-il la guerre ? Jean-Yves Jouannais dit que non. Est-il artiste ? Il le nie. Est-il auteur ou compilateur ? Au début de l’expérience, il se dit compilateur à la Bouvard et Pécuchet, mais peu à peu, la fiction apparaît, glissée d’abord de manière subreptice avant d’être révélée la séance d’après.
La question de l’auteur est ici posée et reposée, avec des réponses évolutives. Ventriloque ? Porte-voix ? Joueur, activeur des fragments déjà existants ? Producteur d’une forme nouvelle, d’une lisibilité nouvelle ?


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Les images d’archives dans La Marche

La collecte est un des premiers gestes qui fonde ce travail, et il nécessite une immersion longue, aussi passionnante que fastidieuse dans les collections d’images d’archives, celles de l’Ecpad, du Mémorial de la Shoah, du Musée de la Résistance nationale de Champigny-sur-Marne, du Cercil, de la Bibliothèque polonaise de Paris, du Comité Amelot, de l’UEVACJ-EA, de la Mémoire juive de Paris.

Quelles photographies choisir ? Sur quels critères ?

Comment s’approprier des images prises par d’autres ?

La commande tournant autour de l’engagement, le choix des Faux Amis se porte tout d’abord sur des photographies évoquant cette notion, telle la photographie de manifestation (image 7), celle de l’attroupement autour de l’affiche de mobilisation générale (image 12), celle d’un dispensaire (image 10) ou encore celle d’un légionnaire, à bord d’un train prêt à partir, faisant ses adieux à une femme et un enfant restés sur le quai (image 13).

Quatre images d’archives sont prises dans le camp de Barcarès, dans les Pyrénées-Orientales, camp où vivront de nombreux engagés volontaires étrangers, ainsi que des réfugiés espagnols.

À noter que le collectif s’approprie les images parfois en les agrandissant, parfois en recadrant.

Ces archives sont bien sûr montrées en fin d’ouvrage dans leur totalité.

Le choix se porte volontiers sur des images usées, froissées, annotées. Les photographies sont poignantes, tant dans leur contenu que dans leur contenant, témoignant d’un vécu de l’image comme de ses propriétaires.

Ainsi, la fiche de signalement portant la mention « voir photo », ou quelques pages plus loin, l’image d’archives numéro 3, dont un des hommes est fléché, les bords de la photographie usés et craquelés. Ou encore l’image d’archives 14, dont la déchirure vient faire subtilement écho à l’image contemporaine qui la borde, de l’autre côté de la pliure, photographie montrant deux hommes en ombres chinoises lisant des lettres devant une toile de tente échancrée.

Le choix suit bien entendu le scénario, de la fuite de la Pologne par le héros, à l’arrivée à Belleville, puis aux manifestations, où le héros rencontre sa future femme, qui travaillera dans des dispensaires, plus tard soignant et cachant des enfants, pendant que le héros s’engage dans l’armée.

Les images préexistantes sont donc re-disposées, réactivées, par le montage, leurs mises en connivence, avec des photographies contemporaines, réalisées en réponse, venant les enchâsser, les déplacer, les réveiller.

Certaines sont mises en abyme dans des photographies contemporaines, comme ce portrait de deux jeunes femmes (image d’archives numéro 9), posé sur une table de nuit dans une chambre, ou encore ce portrait de femme (l’image numéro 40) tenu délicatement par des mains d’homme, laissant voir le verso de la photographie, portant la mention manuscrite « Hélène ».

Ce portrait d’Hélène, venant de plus faire écho, au portrait contemporain de la femme du héros, en page de gauche.

On retrouve ici le jeu entre le présent et le passé qui est à l’oeuvre dans La Marche, où le fils, recomposant l’histoire de ses parents, se retrouve dans les deux temporalités à la fois, l’aspect dé-saturé des photographies contemporaines favorisant ce va-et-vient.

Laïque et indépendante, la Ligue de l’enseignement réunit des hommes et des femmes qui agissent au quotidien pour faire vivre la citoyenneté en favorisant l’accès de tous à l’éducation, la culture, les loisirs ou le sport.

Des centaines de milliers de bénévoles et plusieurs milliers de professionnels se mobilisent, partout en France, au sein de près de 30 000 associations locales et d’un important réseau d’entreprises de l’économie sociale.

Tous y trouvent les ressources, l’accompagnement et la formation nécessaires pour concrétiser leurs initiatives et leurs projets.

Tous refusent la résignation et proposent une alternative au chacun pour soi.

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