Conclusion  de Philippe JOUTARD                                                 (historien français, professeur émérite d'histoire moderne de l'université de Provence Aix-Marseille)                     lors de la rencontre du 15 novembre 2017 

 
L’engagement des juifs étrangers en 1939 dans l’Armée française présente plusieurs traits originaux qui méritent d’être mis en valeur et de susciter une série de recherches. C’est d’abord son caractère massif : autour de 25 000 hommes sur une population totale d’environ 150 000 personnes. Phénomène encore plus original si on rappelle l’engagement politique fort de la très grande majorité de ces engagés, venant de l’Europe centrale   et orientale, militants actifs du communisme, dans leur pays d’origine d’abord, puis en France ensuite ; certains d’entre eux ont même fait partie des Brigades internationales pendant la guerre d’Espagne. Ils n’ont tenu aucun compte du pacte germano-soviétique et des directives des autorités communistes internationales et nationales. Ils assument, sans complexe,  cette contradiction politique et, pour la plupart, ils  n’abandonneront pas leur engagement politique. On remarquera par ailleurs qu’ils restent complètement fidèles à leur culture yiddish d’origine, particulièrement par l’utilisation de leur langue. Comment expliquer ce phénomène ? Comment s’est effectué cet engagement, spontanément, individuellement ou collectivement par des sortes de consignes? 

Arrivés à l’armée, ils se trouvent confrontés à une culture radicalement opposée et hostile de l’encadrement, en particulier  les officiers. Ces derniers sont,  pour la très grande majorité,  de droite affirmée  et souvent influencés par l’Action française dont on sait la violence opposition « aux  juifs » qui sont en plus des «métèques»… Quelques-uns des témoignages oraux recueillis y font d’ailleurs allusion. Et pourtant, tout se passe bien : les incidents sont rares. En tout cas, l’efficacité de ces régiments est forte comme en témoignent la capacité de résistance, le nombre de morts ou de prisonniers, sans parler des citations, à plus forte raison à titre comparatif. Leur action militaire mériterait une étude spécifique, aujourd’hui partiellement engagée. Par la suite, les survivants s’engagent massivement dans la Résistance, même à l’intérieur des camps de prisonniers. Ce devenir pourrait aussi faire l’objet de recherches particulières. La guerre terminée, ces anciens combattants conservent une très forte identité qu’ils savent transmettre à leurs enfants, ce dont témoigne la création de leur association reprise en main par la génération suivante avec tout un travail de mémoire qui a pris différentes formes et vaudrait, lui aussi, une étude spécifique. C’est dire que le passage au Mémorial de la Shoah peut-être précisément l’occasion  de sensibiliser le monde universitaire sur ces différents sujets, en montrant la multiplicité des sources écrites et orales. A ce propos, il ne serait pas inutile de faire appel aux témoignages des enfants ou même des petits-enfants, ce qui peut être l’occasion de faire encore apparaître et transmettre  des archives privées avant leur  disparition définitive. Ce serait un passage heureux de la mémoire à l’histoire, en rapport avec ce que souhaitaient les dirigeants en transmettant le devenir de l’association au Mémorial. Dans cette optique, les deux prochaines années 2018-2020 sont importantes. Elles doivent permettre de sensibiliser les petits-enfants à cette grande aventure, s’ils ne le sont pas déjà. Au-delà, il serait utile de faire connaître cette part de l’histoire de France à un public plus vaste, en s’appuyant sur un ou deux lycées de la région Île-de-France, avec l’aide du chef d’établissement et de quelques professeurs. Pourquoi ne pas y associer de jeunes étudiants en histoire effectuant leur premier travail de recherche. Delphine Richard, qui termine un doctorat en rapport avec le sujet, pourrait éventuellement les guider. L’objectif final est de prévoir une journée d’études accolée  à la cérémonie du souvenir pour le 80e anniversaire qui revêtira forcément une certaine solennité.